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Absence des voix racisées au chapitre des audiences publiques de la CRTC

Photo: Archives
Ricardo Lamour et Gabrièle Gilbert - Collaboration spéciale

Président et premier dirigeant du CRTC – Ian Scott

Présidente de la Société Radio-Canada – Canadian Broadcasting Corporation – Catherine Tait

Ministre du Patrimoine – L’Honorable Steven Guilbeault

Montréal, 20 janvier 2021–

Nous écrivons à titre d’invité-e-s des médias, de producteur/rice.s, de consultant-e-s et de réalisateur/rice-s, ainsi qu’à titre de contribuables de la Société Radio-Canada. 

Alors que nous prenons connaissance des audiences publiques en cours à la CRTC, au sujet du renouvellement de licences de la Société Radio-Canada, nous ne pouvons qu’être préoccupé-e-s par la quasi-absence de représentations de groupes communautaires et entités engagées à porter les préoccupations de voix racisées auprès du public. Ceci, dans un Canada vulnérable à la banalisation de : l’exacerbation d’un racisme anti-asiatique en contexte de pandémie de COVID-19 (e.g. actes haineux commis envers des personnes asiatiques), d’un racisme anti-noir (e.g. Meurtres de George Floyd et Breonna Tayler aux États-Unis, Regis Korchinski-Paquet et Sheffield Matthews au Canada), d’un racisme anti-autochtone (e.g. la mort de Joyce Echaquan) et d’un racisme anti-arabe (e.g. les propos médiatiques diffamatoires émis à l’endroit de l’honorable Omar Alghabra).

Responsabilisation

À titre de CRTC et d’organisme public indépendant chargé de réglementer et de superviser la radiodiffusion et les télécommunications canadiennes, vous avez la responsabilité d’accroître la collecte des narratives canadiennes dans le cadre de vos audiences. Vous avez ainsi la responsabilité de faciliter l’implication des groupes racisés et autochtones absents dans les audiences en cours. Vous devez tenir compte, lors de la consultation concernant le renouvellement de licences, des freins de représentations expérimentés par ces derniers et des impacts en découlant, particulièrement dans un contexte de pandémie exacerbant les fractures sociales et numériques. L’absence de ces populations révèle un échec institutionnel façonné par des politiques, pratiques, programmes et processus antiracistes défaillants.

La CBC/SRC étant une société d’État, nous considérons qu’elle a l’obligation de reconnaître que le public canadien est diversifié de plusieurs façons, tel que stipulé dans la loi sur la radiodiffusion à la section 3 (1) (d) (iii). Le contenu produit grâce aux licences émises ne devrait pas se limiter à conforter le regard de la majorité blanche dans la dualité linguistique, mais devrait prendre en compte le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu’y occupent les peuples autochtones.

Par exemple, 

Nous avons eu l’information qu’une proposition de contenu créé par et pour des Canadien-ne-s d’origines asiatiques n’est pas considérée comme “cadrant” dans le mandat actuel de la SRC. Il a été sous-entendu qu’un contenu issu de la diversité devait avoir une valeur éducative pour le public (i.e. la majorité blanche). Un contenu dans lequel deux personnes issues des communautés asiatiques partagent leur vécu n’aurait pas une valeur sociétale pour les Canadien-ne-s.

Cette vision est extrêmement problématique, car elle va à l’encontre du droit d’être reconnu-e comme Canadien-ne à part entière. Qui est considéré-e comme étant Canadien-ne-s selon la SRC? Fondamentalement, nous considérons important de dépasser le fardeau pédagogique imposé aux productions portées par des Canadien-ne-s racisé-e-s, étant donné que ce n’est pas un fardeau que portent les productions blanches, qu’elles soient francophones ou anglophones. 

Par exemple:

Des idées de séries documentaires sur des enjeux de société historiquement couverts avec des biais, notamment par la SRC, seront jugées trop «radicales», en raison de la personne racisée les portant ou en raison d’un désintérêt en la légitimité de la démarche.

Ainsi, la SRC jugera une idée de projet portée par une personne au parcours militant comme étant problématique, mais n’aura aucune hésitation à permettre à des voix confortant le discours dominant d’avoir les ressources pour mener à bien un reportage, une production et avoir une place de choix dans sa programmation. Les positionnements de sa direction ainsi que ses productions contribueront à une marginalisation des voix racisées luttant contre le racisme en les présentant comme des activistes, un terme qui sera, du même coup, opposé à celui de « vrai journalisme ».

Nous invitons la CRTC à questionner la SRC sur son traitement des créateur/trice-s et participant-e-s racisées et à réfléchir aux pratiques faisant en sorte que lorsque ces personnes participent à la programmation, elles seront incitées, de façon incessante, à avoir de l’empathie pour le Québécois blanc francophone, sans pour autant que la posture organisationnelle s’inscrive dans un échange réciproque réel, et sans considération du fait que les groupes marginalisés n’ont d’autre choix que de comprendre les sensibilitésdes groupes majoritaires. Ces pratiques contribuent au maintien de la surreprésentation de la majorité blanche dans les programmes, productions et produits de la SRC. 

Nous croyons important que la SRC informe des moyens qu’elle compte mettre en place afin de cesser d’occulter et de subordonner les identités noires, racisées et autochtones, sous prétexte de la dualité linguistique, le tout contribuant, dans les faits, à privilégier les membres du groupe blanc dominant, et ce, dans les services français de la SRC. Cet enjeu se reflète notamment dans la gouvernance de la SRC, la composition de son personnel, les processus d’évaluation de projet, la culture de reddition du diffuseur ainsi que dans la posture adoptée face aux enjeux touchant l’usage de propos «offensants».

Par exemple: 

Le 26 octobre 2020, la SRC, via l’Ombudsman français de Radio-Canada, a justifié l’usage du mot en «N», malgré les décisions antérieures telles que la Décision de radiodiffusion CRTC 2009-548 et la Décision de radiodiffusion 2005-348, en ce qui concerne « l’ extrême prudence » dont la SRC doit faire preuve « en permettant l’utilisation de cette expression ».

Le Premier ministre Trudeau reconnaissait l’existence du racisme anti-noir et du racisme systémique le 30 janvier 2018. La SRC semble, quant à elle, n’en faire aucun cas.

En 2020, lors de rencontres stratégiques, la SRC admettait avoir failli à soutenir, avec ses productions, projets et politiques, deux générations de commettant-e-s canadien-ne-s français-e-s. Cet abandon touche d’autant plus les communautés racisées, avec des impacts insoupçonnés. 

Les médias sont un 4e pouvoir. Ces derniers, toutefois, reproduisent présentement des stéréotypes, des préjugés et des pratiques discriminatoires. Il faut se rappeler que la télévision d’État est une source cruciale de transmission de croyances et de valeurs pour les Canadien-ne-s. Ils ont un effet direct sur la manière dont les différentes communautés sont perçues et traitées.

Ainsi, nous croyons important que les audiences publiques de la CRTC favorisent une imputabilité accrue en matière de réglementation et une surveillance dans la mise en œuvre des principes favorisant un nouveau regard sur le concept de diversité. Ceci permettrait d’assurer que la SRC, dans l’exercice de son mandat, soit davantage représentative de notre Canada aux identités multiples, malgré la dualité linguistique occultant les réalités linguistiques autochtones.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 

Nous croyons important que le ministre responsable du CRTC et de la Société-Radio-Canada agisse en fonction de l’engagement de son gouvernement envers la lutte au racisme systémique en prenant des mesures concrètes pour diversifier la direction et renforcer les obligations statutaires et façons de faire du CRTC et de Radio-Canada. De plus, Radio-Canada peine encore à rendre disponibles les budgets octroyés aux producteurs indépendants qui contractent des licences pour la production de contenu.

Nous suggérons d’optimiser les systèmes de surveillance autour des engagements que compte mettre de l’avant la SRC pour l’atteinte d’une représentation adéquate de la diversité, notamment dans les productions indépendantes, tout en souscrivant à un nouveau standard de transparence en matière de divulgation de la proportion financière accordée à ses fournisseurs.

Cc: Médias

Ricardo Lamour, personne noire, artiste et entrepreneur social, et Gabrièle Gilbert, personne noire, doctorante en psychologie pour Groupe Cohérence

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