Le prix des aliments de base, une responsabilité de l’État
LETTRE OUVERTE – La fermeture des frontières durant la pandémie mondiale et l’actuelle guerre entre l’Ukraine et la Russie (30% à eux deux de l’exportation mondiale des céréales) nous fait prendre conscience de la nécessité d’assurer nous-même la sécurité alimentaire de notre population. C’est d’ailleurs un devoir de l’État, dont la mission première est d’être le garant du bien commun et de prendre les mesures nécessaires à cet effet. Le gouvernement Legault l’a admis, mais son intervention s’est limitée à augmenter les subventions pour la culture en serre, à étendre le réseau du courant électrique triphasé et à augmenter substantiellement les subventions à Aliments du Québec. C’est bien, mais c’est peu en regard de l’étendue de ses pouvoirs et de l’ampleur de la crise actuelle.
Les plus pauvres d’entre nous (20%) connaissent depuis longtemps cette insécurité alimentaire, mais une partie de plus en plus importante de la population commence à y être confrontée face une augmentation de 40% l’an dernier et de 30% cette année des prix des aliments. De fait, plusieurs de nos organismes communautaires font état d’une augmentation de 50% de la demande alimentaire. Ce ne sont plus seulement les personnes sur l’aide sociale qui les sollicitent, mais des petits salariés qui n’arrivent plus à nourrir leur famille.
À l’échelle mondiale, avec l’augmentation actuelle des prix du carburant et les changements climatiques qui mettent à risque les récoltes, on entrevoit la possibilité de vivre une des pires crises alimentaires depuis longtemps. (voir « Une crise alimentaire pire qu’en 2008 se profile à l’horizon », Éric Desrosiers, Le Devoir, 2/04/2022) Cette inflation des prix des aliments chez nous n’est donc pas près de ralentir aux dires des experts avec une augmentation majeure des prix pour les deux prochaines années si nous laissons le marché continuer à déterminer seul la marche à suivre en alimentation (Idem).
L’État et les aliments de base
Ça ne peut plus durer comme ça. On ne peut plus regarder les choses se détériorer sans cibler la principale instance ayant les moyens de faire changer les choses, l’État. Comme il le fait déjà en matière de régulation des tarifs d’électricité, des augmentations de loyer et d’élévation du salaire minimum, l’État doit intervenir pour établir des règles sur les prix de certains aliments de base pour permettre à tous de s’alimenter sainement à même nos productions et aux producteurs impliqués de jouir d’un revenu décent, comme c’est le cas des aliments sous la gestion de l’offre.
On parle ici d’un panier alimentaire de quelques aliments que nous produisons au Québec comme les légumes racine, certains produits agricoles sous la gestion de l’offre (Produits laitiers, les volailles et les œufs) et d’autres à déterminer avec les producteurs concernés, notamment ceux recevant une aide financière de l’État comme les producteurs maraichers en serre. Ce serait d’ailleurs la meilleure façon de favoriser l’achat chez nous en rendant ces produits encore plus accessibles et de lutter contre les changements climatiques tout en redynamisant l’économie.
Ce n’est pas nouveau
Cette demande d’intervention de l’État pour réguler les prix de certains aliments n’est d’ailleurs pas une nouveauté au Québec. En effet, la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche (L.R.Q., c. M-35.1) confère déjà à la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec le pouvoir de fixer par règlement le prix de tout produit laitier au Québec.
De plus, un sondage Environics commandé par la Fondation des maladies du cœur (décembre 2008) révélait que la très large majorité des canadiens (86%) appelait le gouvernement à règlementer le prix des aliments à la base d’un régime alimentaire équilibré. (Le Devoir, Fabien Deglise, 10/02/2009). Ce même sondage confirmait d’ailleurs que 42% des ménages indiquaient renoncer à certains aliments courants en raison de leur prix. On imagine le pourcentage actuel face à l’augmentation effarante des prix des denrées.
Plusieurs pays y ont déjà eu recours historiquement en situation exceptionnelle, comme la France, l’Allemagne, les États-Unis et quelques pays d’Amérique latine. Soulignons d’ailleurs que la Directrice générale du Fonds monétaire international vient tout juste de déclarer (23 mai 2022) à la BBC que les gouvernements doivent subventionner les coûts des aliments et de l’énergie.
Protéger nos agriculteurs, mais aussi… les mangeurs
Enfin, en ce qui concerne le rapport de force avec l’Organisation Mondiale du Commerce pour protéger nos acquis dans les négociations internationales, on cesserait ainsi l’approche strictement défensive qui nous fait perdre régulièrement des parts de marché pour prendre une approche proactive affirmant que la gestion de l’offre répond à nos besoins de pays nordique pour peu qu’on y ajoute la défense des intérêts des mangeurs.
Cela exigerait évidemment un nouveau cadre juridique basé sur la Charte des droits et libertés du Québec, ciblant notamment le Droit à la vie. Le Droit à l’alimentation n’existe pas au Québec, ni au Canada, ce dernier ayant signé le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, mais n’ayant pas encore ratifié le Protocole de sa mise en œuvre, comme l’ont pourtant fait 26 pays depuis décembre 2008, notamment la France, la Belgique et des pays d’Amérique latine.
Une convention internationale pour reprendre du pouvoir sur notre alimentation
Cette approche s’inscrirait évidemment au niveau international avec la mise en œuvre d’une Convention internationale prônée par la Coalition Nourrir l’humanité durablement et serait un exemple de ce dont les pays signataires pourraient se doter comme politique agro-alimentaire. Cette Convention ferait ainsi un contrepoids juridique aux accords de libre commerce de l’Organisation Mondiale du Commerce dominés par les géants de l’Agro-business.
Manger à sa faim, un droit
En fait, l’enjeu ici est de reconnaitre que manger suffisamment est une fonction essentielle à la vie et que l’État doit agir pour en assurer la prévalence, comme il le fait pour d’autres besoins essentiels dans un pays nordique comme le nôtre, comme l’énergie et le logement.
Notre proposition de régulation des prix ne concerne donc pas les quelques 40 000 produits offerts en magasin, mais seulement quelques produits de base à déterminer avec les acteurs sociaux concernés. C’est une solution assurant l’approvisionnement alimentaire de toute la population et la sécurité alimentaire individuelle des plus pauvres d’entre nous qui peinent à joindre les deux bouts.
Cette solution, selon nous, mérite d’être explorée dans des projets pilote et discutée sérieusement dans un débat de société qui tiendrait compte des intérêts de la grande majorité, et non des seuls intérêts de quelques-uns.
Jean-Paul Faniel
Directeur général
Au nom du CA et de L’Assemblée générale annuelle de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain
514 387-7997