Le ronfleur
Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Aéroport de Trinidad. 3 h du matin. Une nuit d’août.
Pour la période estivale, la chronique Hors du commun se déplace vers d’autres lieux reliés au transport en commun. Question de voyager ensemble, un peu plus loin.
La porte d’embarquement est fermée. Pas l’ombre d’une quelconque activité en vue. Le tableau qui annonce les départs pour Tobago est aussi muet que ladite porte est close.
On compte déjà deux heures de retard, et espérons que les vents changeront de cap, car nous devons être sur l’île de Tobago à l’aube pour attraper un bateau. Mais c’est un autre transport et une autre histoire.
Pour tout de suite, ce qui nous importe et nous inquiète, c’est que les voies de l’air nous sont inaccessibles.
Et on commence à en avoir assez d’attendre dans ce micro aéroport où malgré la nuit, il doit faire 42 degrés. Trouver une position confortable sur nos minuscules bancs de plastique rigide est aussi peu probable que de trouver le bien-être sur un tapis de clous. Nos pieds sont posés sur nos valises qui s’écrasent sous le poids de notre fatigue.
Mais davantage que nos bagages, il y a cet homme, à quelques pieds de nous, qui est évaché de tout son long sur un banc. Et il dort. Violemment.
Son sommeil est si intense qu’on pourrait imaginer que, là où il se trouve, la pression est plus forte. Comme c’est le cas très haut dans le ciel ou dans les profondeurs de l’océan.
Et il ronfle comme un char d’assaut. Son gros ventre se gonfle et se dégonfle au rythme de son souffle de baleinier. Toute la zone d’embarquement tremble. On se regarde en souriant.
Le sommeil de cet homme est inébranlable. Le concierge, en passant sa mope sous la banquette, a essayé de le réveiller. Idem pour son voisin qui aimerait bien lui aussi fermer un peu l’œil. Personne n’y parvient. Une agente de bord annonce enfin au micro que l’appareil se posera bientôt et que l’embarquement pourra avoir lieu dans trente minutes. Ni la distorsion ni le message n’ont atteint le beau au bois dormant qui peut-être, à ce jour, dort toujours sur cette banquette de l’aéroport caribéen.
Car cette nuit-là l’appareil est parti, sans lui.