Les immigrants sont surqualifiés
Le cliché du chauffeur de taxi diplômé en médecine dans son pays d’origine traduit un problème réel et de plus en plus criant. Les travailleurs immigrants sont deux fois plus surqualifiés que les Canadiens d’origine, selon une étude de Statistique Canada.
Selon cette étude couvrant la période allant de 1991 à 2011, 43 % des femmes et 35 % des hommes détenant un diplôme d’une université non canadienne ou américaine étaient surqualifiés. Ces personnes occupent donc un emploi dont les compétences requises sont inférieures à celles qu’elles possèdent.
À l’inverse, le taux de surqualification chez les Canadiens d’origine et les immigrants détenant un diplôme canadien ou américain oscille entre 15 et 20 %. Pourtant, le Canada est un champion de l’immigration, avec un travailleur sur cinq né à l’étranger, le taux le plus élevé des pays du G8.
Cet écart peut paraître surprenant, mais a quelques fondements clairs. «Les immigrants n’ont pas un réseau aussi développé, explique Claude Montmarquette, président du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) de l’Université de Montréal. Avec un diplôme canadien ou québécois, vous avez des camarades de classe et un réseau. Si vous arrivez de l’extérieur, vous n’avez rien de tout ça, alors vous acceptez un emploi plus bas que vos qualifications pour démarrer.»
«Avec un diplôme canadien ou québécois,vous avez des camarades de classe et un réseau.Si vous arrivez de l’extérieur, vous n’avez rien de tout ça, alors vous acceptez un emploi plus bas que vos qualifications pour démarrer.» – Claude Montmarquette, président du CIRANO de l’Université de Montréal
Sans parler de discrimination, le professeur émérite croit qu’il subsiste une certaine hésitation chez les employeurs à embaucher des travailleurs ayant un diplôme étranger, surtout s’ils ont déjà eu une expérience négative par le passé.
De son côté, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse n’hésite pas à dénoncer la discrimination des employeurs. Dans un avis paru en 2011, elle affirme que les médecins diplômés hors du Canada ou des États-Unis «font l’objet d’un traitement discriminatoire sur la base de leur origine ethnique dans le cadre du processus menant au programme de formation postdoctorale en médecine au Québec». Elle ajoute que «que les facultés de médecine mettaient en cause l’équivalence de diplôme qui leur avait été octroyée par le Collège des médecins».
Selon Claude Montmarquette, les ordres professionnels font tout pour protéger leur marché et créent des obstacles à la reconnaissance des diplômes des travailleurs étrangers.
Au gouvernement de choisir
Le gouvernement du Canada et des provinces choisissent pourtant les travailleurs qui immigreront sur leur territoire. Les politiques d’immigration évaluaient auparavant les candidats davantage en fonction de leur profil que de leurs compétences, mais cela est en train de changer. «Au Québec, on voulait beaucoup de personnes qui parlent français, sans égard au domaine de recherche et à l’intérêt de l’immigrant à réellement travailler», soutient Claude Montmarquette.
L’arrimage des politiques d’immigration aux besoins du marché du travail est la clé pour intégrer les nouveaux arrivants et combler les pénuries de main-d’œuvre anticipées au Canada. Ce changement de cap s’opère déjà au fédéral et dans certaines provinces, comme la Colombie-Britannique.
Selon le président du CIRANO, la surqualification peut être temporaire ou permanente, mais c’est sa durée qu’il faudrait étudier. C’est elle qui transforme le petit boulot «en attendant» en véritable piège ou en tremplin vers l’emploi convoité.