Julie Gauthier, pacifier les mots
Julie Gauthier enseigne l’anthropologie au Collège Ahuntsic. Au cœur du travail dit «d’autochtonisation» de l’établissement, elle explique pourquoi cette démarche a été entreprise et en quoi elle consiste.
Comment a commencé ce processus «d’autochtonisation»?
Il y a quatre ou cinq ans Nathalie Vallée, la directrice du collège, avait été sollicitée pour fournir un bus aux équipes sportives avec les couleurs et l’ancien logo des Indiens. Elle s’interrogeait si ce nom mettait des gens mal à l’aise. C’était un point de départ qui montrait une certaine sensibilité culturelle.
Aviez-vous la réponse à cette interrogation?
À partir du moment où le malaise est exprimé, on s’est demandé ce qu’on faisait avec ça. On forme de futurs enseignants, des travailleurs sociaux ou des policiers alors on a choisi d’en faire une occasion d’éducation. On est allé vers Micana, une organisation autochtone, pour nous accompagner. On a eu de longues heures de discussions. L’ancien logo et le nom plaisaient et étaient très identitaires. On a convenu alors d’un plan de formation pour toucher les étudiants athlètes, leurs entraineurs, le personnel et les gestionnaires.
En quoi consistait ce plan de formation?
Les gens étaient invités à réfléchir sur les valeurs qui caractérisent leurs équipes. On a convié [entre autres] 150 étudiants à participer à un atelier immersif de trois heures. L’idée n’était pas de les convaincre que le logo devait changer, mais qu’ils comprennent le pourquoi. L’atelier visait à ressentir les émotions chez ceux qui ont subi des politiques d’assimilation au Canada. On les a invités aussi à une discussion avec Maya Cousineau-Mollen, une Innue, consultante pour la démarche du logo. Elle leur a parlé du sens que prenait le mot indien pour elle d’un point de vue très personnel.
Ensuite, il y a eu une large consultation auprès des étudiants et trois noms ont été sélectionnés dans une première phase. Toutefois, les athlètes trouvaient qu’ils manquaient de choix. On est allé pour une seconde ronde et «les Aigles» a remporté les suffrages.
Une fois le nom trouvé, il fallait aussi changer le logo.
On a embauché un graphiste autochtone, choisi parce qu’il est un excellent artiste. Il a été d’une écoute exceptionnelle. Il s’est ajusté et il a compris probablement du fait qu’il soit autochtone.
Quand on voit le produit final, on n’a pas l’impression que ce fut si difficile à trouver.
Aujourd’hui, le résultat semble clair, mais c’est comme lorsqu’on écrit un texte. Quand il est fluide, on sait qu’il a été travaillé. Si maintenant le logo a l’air évident, cela veut dire que c’est notre identité et on a bien fait les choses.
Est-ce que vous vous êtes donné une échéance pour mener à bien ce chantier?
Il n’y avait pas délais. Prendre du temps pour faire cela dans une institution, c’est du jamais vu. On aurait pu dire: ‘‘on change cela et puis c’est tout’’. Mais non, on a tenu compte des sensibilités exprimées.
Quand on lit «autochtonisation», on a encore du mal à comprendre ce que c’est du premier coup.
«L’autochtonisation» semble être floue ou théorique, mais probablement que plusieurs en font sans le savoir. Le défi est que les gens se sentent concernés et ne soient pas effrayés par ces concepts. On apporte une ouverture à l’autre et une réflexion sur soi c’est tout. La démarche n’était pas complexe. Nous avions besoin d’écoute et le désir de ne pas chercher à comprendre avec la tête.
Est-ce que votre démarche pourrait aider à expliquer les concepts et les usages de certains mots qui ont suscité la polémique dans les institutions de formation?
Jusqu’à présent, la démarche «d’autochtonisation» se fait dans le grand respect des différentes parties impliquées, par une prise de conscience et un dialogue honnêtes et transparents, et nous n’avons pas été confrontés à cet enjeu.
Une fois le processus terminé, avez-vous entre les mains une expertise qui pourrait servir ailleurs?
C’est exactement cela l’objectif: permettre à d’autres institutions qui le souhaiteraient de bénéficier de cette posture-là parce qu’elle est très difficile à mettre en pratique. C’est long et c’est lent et ça prend des gens qui se parlent. Il faut un investissement et une réelle intention de faire les choses autrement.