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La semence, cette grande oubliée de la souveraineté alimentaire

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Lyne Bellemare, directrice de Terre Promise, dans son atelier d’Ahuntsic. Photo: Hélène Schaff

«Quand tu contrôles les semences, tu as le contrôle sur la nourriture d’un peuple», fait remarquer Lyne Bellemare, directrice de Terre promise, une semencière artisanale située à Ahuntsic. Or, la production semencière québécoise a perdu son savoir-faire historique et se trouve dépendante de l’étranger, au détriment de notre sécurité alimentaire.

«Depuis un siècle, nous avons perdu plus de 75% des variétés de semences, des variétés locales et adaptées à notre région», affirme Mme Bellemare.

C’est en travaillant chez Semences du patrimoine, un groupe de conservateurs de semences provenant d’un bout à l’autre du pays, qu’elle découvre l’hécatombe. Elle décide alors de fonder Terre promise. La ferme d’un hectare cultivée en permaculture à L’Île-Bizard fait (re)vivre 250 variétés rares ou anciennes, dont certaines patrimoniales comme le maïs canadien blanc ou la tomate «mémé de Beauce». C’est qu’au-delà d’un pan de notre histoire autrement voué à disparaître, perdre la maîtrise des semences maraîchères est un enjeu sociétal d’importance.

Terre promise est une semencière artisanale locale qui produit des semences écologiques de variétés potagères rares ou en voie d’extinction.

Semences et culture locale

La pandémie de COVID-19 a mis à l’avant-scène l’autonomie alimentaire. De nombreux Québécois souhaitent s’alimenter de manière locale et le gouvernement veut accroître l’autosuffisance. Pourtant, les semences sont toujours dominées par de très grosses firmes, et, bien que leur provenance soit difficile à connaître, on a la certitude qu’elle n’est pas québécoise.

Gabriel Leblanc, président de l’Union paysanne – OBNL de défense des droits des petits cultivateurs agricoles – explique qu’il n’existe pas vraiment de semenciers intermédiaires au Québec et que les maraîchers ont peu le temps d’en faire la culture eux-mêmes. «Cette dépendance aux géants réduit notre résilience en tant que communauté», alerte le président et agriculteur maraîcher. Si une crise climatique touche une région productrice, ou qu’un gros semencier ferme ses portes, c’est la filière agricole québécoise qui serait empêchée de produire.

Et plus cette situation persiste, plus l’enjeu grandit. Visant la profitabilité, les industriels qui dominent présentement le marché n’ont pas intérêt à entretenir de nombreuses variétés. De plus, ils commercialisent des semences dites hybrides, fruits de croisements visant à produire une plante idéale pour le marché. Or, ces semences ne sont pas reproductibles par les agriculteurs. Ces derniers doivent alors s’approvisionner auprès des semenciers chaque année. Ce mécanisme maintient leur dépendance. Les semences locales disparaissent, et, avec elles, tout le bagage génétique de plantes pourtant adaptées à notre environnement.

L’avantage de la biodiversité

Le président de l’Union paysanne pense que le développement de la biodiversité à l’échelle locale peut être un avantage pour la productivité et la résilience des plantations. Il produit par exemple des tomates qui «demandent des serres, car elles ont besoin d’énormément de chaleur, les semences venant probablement d’Amérique du Sud», explique-t-il. En cultivant les semences ici, la tomate s’adapterait au climat local et au sol. Graduellement, elle aurait besoin de moins d’artifices pour survivre: elle serait ainsi plus résiliente, plus productive, et plus écologique.

Mais «le métier est inconnu», constate la propriétaire de Terre promise. Elle déplore qu’il n’existe aucun cursus scolaire au Québec pour la conservation de semences. C’est un travail d’autant plus difficile qu’il faut reconstituer un savoir-faire perdu. «Google ne répond pas à nos questions!» ajoute-t-elle en riant. Les quelques semenciers québécois qui existent doivent travailler de manière artisanale, sans subvention ni machinerie pour les aider. Ceci rend le coût d’achat des semences élevé pour les producteurs maraîchers s’ils veulent s’approvisionner localement.

Ainsi, c’est «toute une chaîne à développer», estime Lyne Bellemare.  Pour pallier ces défis, l’Union paysanne demande un appui financier de la part du gouvernement pour favoriser la production de semences locales. Elle veut ainsi assurer la souveraineté alimentaire du Québec depuis la graine, tout en encourageant l’économie locale.

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