Manoir Lafontaine: victoire exemplaire après «une bataille de longue haleine»
«Il faut se battre. Il faut rendre coup pour coup», martèle Nadine Freville, une locataire du Manoir Lafontaine à Montréal. Elle est l’un des visages de la résistance face à la crise du logement qui sévit dans la ville. Le bâtiment, un immeuble de 93 logements, a été récemment acquis par l’organisme à but non lucratif Interloge, mettant fin à un combat de longue haleine pour la préservation des logements abordables.
Le Manoir Lafontaine était devenu ces dernières années un symbole de la lutte des locataires contre les rénovictions. Ce processus, où des propriétaires effectuent des rénovations pour augmenter les loyers, a éjecté de nombreux résidents de leurs foyers, alimentant une crise du logement de plus en plus préoccupante.
La femme de 61 ans est aujourd’hui soulagée.
Je disais: je vais me battre jusqu’au bout. Et j’ai gagné.
Nadine Freville, locataire du Manoir Lafontaine à Montréal
L’histoire du Manoir Lafontaine a fait les manchettes à nombreuses reprises. Après son acquisition par la société Hillpark en 2019 – qui voulait y faire des rénovations – les locataires craignaient une «rénoviction». Il a finalement été racheté par Interloge, notamment grâce à une contribution de 5,6 M$ de la Ville de Montréal, 15, 4M$ du Mouvement Desjardins et 16,8 M$ du gouvernement du Québec.
Kevin McMahon, directeur du développement immobilier de l’organisme, a été la figure clé des négociations avec le propriétaire précédent. «Ça prenait une agilité complexe pour réaliser ce projet. On était un repreneur avec un beau profil. Ça s’est fait de façon courtoise et professionnelle», rapporte-t-il.
Harcèlement et coupures d’eau
Et pourtant, c’était presque peine perdue pour Interloge. Un projet de condos avait retenu l’attention d’Hillpark en remportant le premier appel à propositions pour la reprise du Manoir Lafontaine. «On y pensait même plus. On avait un peu renoncé. C’est eux qui nous ont rappelés», se rappelle M. McMahon. «Ce n’est pas tous les acheteurs qui sont prêts à affronter 13 locataires qui ont résisté comme ceux-là.»
Nadine Freville se souvient du début de la lutte. «Quand j’ai commencé, j’ai mis une bâche sur mon balcon, une invitation à mes collègues pour se battre», se remémore-t-elle. Mais le combat n’était pas facile, relate-t-elle. Les locataires ont dû faire face à toutes sortes de tracas: harcèlement, coupures d’électricité et d’eau.
Mme Freville avait même installé une caméra de surveillance à sa porte, craignant des méfaits de la part du concierge. «Il y avait des personnes qui hésitaient parce qu’elles craignaient la vengeance du propriétaire. […] Mais si je pleure derrière ma fenêtre, personne ne va le savoir», tonne la locataire.
Seuls 13 d’entre eux sont restés jusqu’au bout. «Beaucoup ont cédé. […] C’était une bataille de longue haleine. Jour et nuit, on ne dormait pas», confie Mme Freville. Ce sentiment de victoire est partagé par les autres locataires qui ont résisté, mais aussi par Interloge.
Un pour tous, tous pour un
Cette victoire est une lueur d’espoir dans une ville où la crise du logement continue de faire rage. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’est réjouie de l’acquisition du Manoir Lafontaine, le qualifiant de «grande victoire». Et de promettre que l’administration continuerait à acheter des immeubles pour en faire du logement social et abordable.
Pour Nadine Freville, c’est une victoire pour le bien commun. Elle croit fermement que la lutte doit continuer. «Il faut utiliser tous les moyens légaux que tu as», insiste-t-elle. «Je vis ici depuis 17 ans. Les gens qui vivent la même chose doivent savoir que c’est possible. Il faut se battre, il faut rendre coup pour coup.»
La locataire croit que la bataille n’aurait probablement pas été gagnée sans les efforts des locataires et la médiatisation de leurs actions.
Mais «il n’y a pas assez d’attention médiatique pour couvrir tous les cas de rénovictions potentiels», estime Kevin McMahon. «Le plus grand pourcentage de locataires qui résistent, le mieux c’est.» La clé serait selon lui de mieux informer locataires. Pour ça, «il faut mieux financer les comités de logements», croit-il.
Les travaux débuteront cet automne
Le Manoir Lafontaine, symbole de la crise du logement, sera remis à neuf. Ses 93 logements abordables feront l’objet de travaux qui débuteront dès cet automne.
L’organisme Interloge avait acquis le Manoir Lafontaine le 30 mai à un prix de vente de 18,8 M$ pour y faire du logement abordable. Le projet ambitieux pour la rénovation du Manoir Lafontaine est évalué à 38 M$. Celui-ci comprend un ensemble de travaux substantiels visant à rénover l’intérieur du bâtiment, à le mettre en conformité, à remédier aux problèmes du système de chauffage et à réparer les ascenseurs.
«Les logements sont complètement désuets, décrivait Louis-Philippe Myre, directeur général d’Interloge, en entrevue avec Métro. On remet l’immeuble à neuf, et son espérance de vie va être d’à peu près 45 à 50 ans. On ne va jamais le revendre: cet immeuble sera toujours une propriété collective.»
Les loyers du Manoir Lafontaine resteront donc bien abordables. Pour les locataires à faible revenu, ils pourraient même être subventionnés «pour que le loyer ne représente que 25% de leurs dépenses». Cet épilogue signe la fin d’un combat à la «David contre Goliath», comme le soulignait Valérie Plante.
Contactée par Métro, la société Hillpark n’a pas donné suite à nos sollicitations.