Monk.E: «Je suis un rappeur-philosophe»
Tout Montréal connaît Monk.E. Si ce n’est pas pour sa musique consciente et son engagement social, c’est probablement pour ses murales dont plusieurs dizaines recouvrent les murs de la ville. Dans cette entrevue, l’artiste dont la carrière est née dans Hochelaga fait part de ses rêves et aspirations, ainsi que de son parcours artistique et de ses collaborations. Monk.E révèle également son amour pour l’Afrique et l’influence de ses voyages sur sa musique.
Métro: Tu viens de sortir un huitième album. Qu’est-ce qui le rend différent des précédents?
Monk.E: Beaucoup de personnes me disent que c’est leur album préféré de ma discographie. Je pense avoir développé une forme de maturité dans les paroles et le flow. Je sens qu’à l’époque, j’avais quelque chose à prouver, et ma technique était peut-être un peu superflue. J’ai rendu ma musique un peu plus accessible en réduisant les mots, etc. La musique minimaliste met en valeur la force de mes paroles dans cet album. En une semaine, cet album a déjà généré plus de streaming que certains de mes albums précédents après plusieurs mois de disponibilité.
L’album est titré De Charbon à Diamant. De quoi rêves-tu? À quoi aspires-tu?
J’aspire à des vertus utopiques telles que la justice et l’égalité. J’espère que le système d’oppression dans lequel on vit, qui profite à une minorité, prendra fin. Je crois qu’on est tous destinés à accomplir de grandes choses, mais nous sommes souvent limités artificiellement. Mon album parle de cette transmutation qui nous permet de vivre notre plein potentiel.
Tu as collaboré avec de nombreux artistes locaux sur ce projet.
L’album a été entièrement écrit à Montréal durant l’été 2022 et présente des artistes montréalais en featuring. Il célèbre la richesse du rap à Montréal: Wahlee, Sadam Huss’, Sauce, Basics, Witness, Meryem Saci. Pour moi, la plus grande source d’inspiration, c’est l’être humain. Être seul ne permet pas d’approfondir autant qu’avoir quelqu’un avec qui partager ses idées et son champ lexical. […] Sur certains morceaux, je choisis des icônes, je cherche à toucher de nouvelles démographies, mais dans cet album, je n’ai pas cherché de featuring stratégique. C’était une collaboration naturelle avec les personnes qui m’entourent au quotidien.
Tu es souvent à l’étranger – comment s’organise ta vie d’artiste?
Depuis mes 19 ans, j’ai compris qu’en tant qu’artiste muraliste, je devais peindre toute l’année, en évitant les hivers. Je passe mes étés au Québec et mes hivers à voyager d’un endroit chaud à l’autre. Ces déplacements ont également influencé ma musique. J’ai effectué 21 tournées au Mexique et y ai vécu pendant 4 ans. J’ai aussi voyagé en Ouganda, au Sénégal, au Gabon, au Kenya et en Tanzanie. Je vis, peins, pleure et ris avec les communautés locales. Je construis des ponts solides partout où je vais.
Quelle est ta relation avec ton quartier et la ville en général?
Avant de déménager à Montréal, j’ai vécu dans une ville blanche francophone, Drummondville, qui était plus axée sur le rock. Déjà à l’âge de 15 ans, je faisais du pouce pour venir acheter du matériel de graffiti et des albums. J’ai ensuite vécu à Longueuil, sur la Rive-Sud de Montréal, pendant quatre ans, puis à Saint-Henri pendant quatre autres années, avant de m’installer à Hochelaga. Même lorsque je n’y habitais pas, j’ai vécu mon développement professionnel dans Hochelaga, avec l’organisation Café-Graffiti, une agence communautaire qui avait des murs légaux.
Comment trouves-tu le temps pour voyager, réaliser des murales et ta musique?
La plupart des artistes ont un emploi régulier depuis l’adolescence et ne font que produire. J’ai une productivité obsessionnelle. Pour moi, travailler est un honneur. Je peux écrire deux chansons par semaine et peindre deux à trois tableaux par semaine. Une fois que j’ai terminé ma semaine de 40 heures, j’ajoute 40 heures de travail, qui sont en réalité 40 heures de plaisir. La seule partie négligée est la gestion administrative, les demandes de subventions, etc. J’ai besoin de structurer mon entreprise.
On te considère comme un rappeur conscient. Pourquoi les enjeux sociopolitiques sont-ils au cœur de ta musique et de tes murales?
Je n’aime pas la politique en tant que telle. J’estime que nos pensées, nos paroles et nos actions doivent être unifiées. Pour moi, chaque action quotidienne, du choix de notre épicerie aux personnes auxquelles nous donnons des «likes», a une importance politique. […] Même si nous avons besoin de danser et de nous divertir, il est important de réfléchir à notre avenir en tant qu’espèce et à notre impact sur notre planète. Le rap est mon moyen d’introspection collective, ma façon de poser des questions et de les faire rebondir. Je suis un rappeur philosophe, et cela fera toujours partie de ma musique.