COVID-19: le double combat d’une infirmière
Jusqu’à tout récemment, Jennifer Philogene était au front en zone chaude de COVID-19, risquant sa santé et celle de ses proches pour soigner des inconnus. Pendant 7 ans, elle a travaillé comme infirmière clinicienne à l’hôpital Fleury, dans le nord de Montréal. Mais en octobre dernier, épuisée mentalement et exaspérée des discriminations du milieu de la santé, la jeune femme a mis sa carrière en veilleuse.
La mort, Jennifer l’a côtoyée régulièrement pendant sa carrière. Elle a appris à s’en détacher, cela fait partie de son métier. Ça, c’était avant la première vague de la pandémie.
«Il fallait subir la mort tous les jours, c’était aberrant. J’étais traumatisée. Traumatisée de manquer de temps pour rassurer une femme qui ressemblait à ma grand-mère, anxieuse d’attraper le virus moi-même malgré tous les protocoles», témoigne-t-elle.
Comme ses collègues infirmières, elle a vu l’hôpital Fleury s’engorger de manière alarmante, frappé par la progression foudroyante du virus sur l’île, notamment dans les quartiers du nord-est de l’île.
Particulièrement dans les premiers mois, les protocoles que devaient suivre les infirmières changeaient chaque semaine, voire chaque jour. Les nouvelles mesures pour protéger le personnel de santé les distançaient des patients, fait remarquer Mme Philogene.
«Il fallait faire passer notre sécurité en premier, même lorsque le patient était en grand besoin; on ne pouvait rester plus de 30 minutes à la fois dans une chambre. Avec le bruit étourdissant des filtres à air dans les chambres à pression négatives, je me sentais vraiment mal pour eux».
En plus de se livrer corps et âme au combat, la jeune femme continuait d’enseigner les soins infirmiers dans deux cégeps montréalais.
Point de rupture
Depuis quatre ans, Jennifer Philogene composait avec la pression des deux milieux en pénurie de personnel, mais aussi avec la pression supplémentaire d’être une jeune femme noire dans le système de santé québécois. C’en était trop pour elle. Cet automne, elle en eut assez.
«J’avais besoin d’une pause psychologique, et on ne me permettait plus de faire ces deux emplois qui créaient un équilibre dans ma vie. J’ai choisi de m’éloigner de la pratique pour me consacrer uniquement à l’enseignement».
Racisme systémique
Le 24 février, Jennifer Philogene participait à une discussion en ligne sur le racisme systémique dans le milieu de la santé pour l’Association québécoise des infirmières et infirmiers (AQII). Si les discriminations à son endroit et envers sa communauté ne l’ont pas directement poussée à la démission, elles ont certainement influencé sa décision.
«Notre voix porte définitivement moins. Nos demandes à nos supérieurs vont être refusées, on va avoir beaucoup plus de pression à performer. Et si on veut progresser, il faut absolument devenir plus “québécoise”».
À l’inverse, certains patients font preuve d’une grossièreté sans bornes auprès des infirmières des communautés noires. Dans l’obligation d’accomplir leur devoir, celles-ci doivent bien souvent encaisser en silence. Jennifer Philogene peut en témoigner.
«On va se faire traiter de tous les noms. Quand c’est directement pointé vers moi, j’arrive à passer à autre chose. Mais lorsqu’on s’en prend à la communauté, à dire que des gens comme ma mère et mon père sont des bons à rien, ça vient vraiment me chercher».
Dédiée entièrement à l’enseignement, la jeune femme d’origine haïtienne n’écarte pas un retour à sa pratique. À travers les stages qu’elle donne et ses témoignages sur différentes plateformes, elle tente de sensibiliser la population aux discriminations du milieu de la santé.
«Notre communauté s’est sacrifiée tout au long de la dernière année. D’un côté comme de l’autre des soins, nous avons été extrêmement affectés par la pandémie. Il faut que la société reconnaisse notre contribution, qu’elle prenne conscience de l’impact que nous avons eu».