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Giacomo: un barbier indémodable depuis 60 ans

À 81 un an, Giacomo enfile son tablier chaque matin.
À 81 un an, Giacomo enfile son tablier chaque matin. Photo: Josie Desmarais/Métro

À l’époque d’Elvis Presley, les cabarets montréalais sont en pleine effervescence. Au Casa Loma et au Café Rodéo, des serveurs portent la «Hollywood haircut», signature d’un jeune barbier prometteur de la rue Fleury à Montréal-Nord. Entre deux brandys, un client fait signe de la main au garçon et lui murmure quelque chose à l’oreille. Habitué qu’on remarque sa tignasse, le serveur répond : «Pour ça, va voir Giacomo».

Six décennies plus tard, c’est comme si l’odeur de Brylcreem et de tonique Vitalis n’avait jamais quitté le salon de Giacomo Delle Donne. Depuis soixante ans, quatre générations sont passées sur les grosses chaises orange du barbier. Fats Domino, le cycliste Gino Bartali et le chanteur Luciano Tajoli, des clients notables du salon, sont tous sous d’autres cieux, mais à 81 ans, Giacomo enfile encore son tablier chaque matin.

«Adolescent, je cherchais un emploi dans le journal. On demandait un boucher ou un barbier. Je ne voulais pas travailler dans les frigidaires alors j’ai demandé 250$ à mon père pour suivre le cours. En 1961, cinq ans plus tard, j’étais en business», raconte-t-il.

La visite chez le barbier était au cœur de la routine masculine lorsque Giacomo ouvrit son salon, au tournant des années 1960. Les clients venaient y passer un moment de détente, lire le Montréal-Matin avec un expresso dans une main, et une cigarette au bec. Quoi de plus naturel lorsque les chaises ont des cendriers de Chevrolet 1955 intégrés aux accoudoirs.

«On marchait aux numéros dans ce temps-là. Les gens prenaient une pastille et relaxaient en attendant leur tour. Ça jasait autour d’une grappa, ça riait, ça regardait les femmes des revues…ce n’était pas le stress d’aujourd’hui», se rappelle Giacomo.

Giacomo Delle Donne derrière sa grosse chaise orange.

Des clients satisfaits

C’était un autre quartier. Montréal-Nord demeurait très rural et l’immigration italienne battait son plein dans le secteur. Le salon est rapidement devenu un point de ralliement pour la communauté.

«Ça ne parlait pas anglais ni français; ils voyaient mon nom écrit dans la vitre et venaient instinctivement me voir. C’était merveilleux, j’ai pu en aider plusieurs à s’intégrer», relate-t-il.

Avec une clientèle fidèle et le sens de la conversation, Giacomo réussit à se créer un réseau allant bien au-delà du quartier. Un jour c’était le chef de police qui passait sous ses ciseaux, le soir, un politicien et le lendemain, un acteur d’envergure. Bien vite, le salon roulait à 6 barbiers.

«J’ai toujours aimé le public, et eux m’apprécient parce que je m’intéresse vraiment à ce qu’ils veulent. C’est de la passion, de l’amour pour ce métier et pour les clients», affirme M. Delle Donne.

Résilience

Giacomo Delle Donne a certes eu à naviguer à travers des périodes difficiles au cours de sa carrière, comme l’arrivée des «maudits» Beatles avec la mode des cheveux longs, mais la fermeture forcée de son commerce cette dernière année remporte probablement la palme.

«Ça n’a jamais été aussi tranquille depuis notre réouverture, l’achalandage a baissé de moitié. Mais je peux vous garantir quelque chose : s’ils ne sont pas morts, mes clients vont revenir. Personne n’offre un service comme moi», affirme-t-il.

Et alors qu’il terminait sa phrase, un bruit interrompt la conversation. Au bout de la pièce, la porte s’ouvre. Un homme masqué s’exclame : «Hey Giacomo!».

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