L’expulsion du pays d’une famille suspendue de justesse
«J’espère un miracle», écrit Maria Fernanda Lopez au bureau de Mario Beaulieu, député fédéral de La Pointe-de-l’Île, le 30 juin dernier, à 14h20. Désespérée, la jeune femme de 22 ans craint que sa famille soit forcée de quitter le Canada vers son pays d’origine, le Mexique, d’ici la fin de la journée.
Mario Luis Lopez et Andrea Doria Demeleghi Garrido et leurs enfants Maria Fernanda et Mia Karol, 13 ans, ont appris trois semaines plus tôt qu’ils ne sont pas admissibles au statut de réfugiés. Résidents à Pointe-aux-Trembles, ils vivent au pays depuis juin 2019. Plus de quatre ans.
Vers 15h, alors que Maria Fernanda est dans l’autobus pour aller dire un dernier au revoir à ses collègues, un «miracle» se réalise. Ses parents l’appellent pour lui annoncer qu’il n’est plus nécessaire de faire ses valises: l’expulsion de la famille a été suspendue in extremis pour un an, le temps que leur demande de résidence permanente soit traitée. Le résultat de leurs efforts et ceux de l’équipe de Mario Beaulieu, qui ont fait des pieds et des mains depuis trois semaines pour obtenir un sursis pour des motifs humanitaires, ont porté fruit.
Son éclat de joie en apprenant la nouvelle était tel que tous les passagers de l’autobus se sont retournés, relate-t-elle. Après explications, ceux-ci se sont mis à la féliciter.
«Si jamais tu envisages de revenir, ne le fais pas»
Les Lopez ont fui leur village de l’état du Chiapas, dans le sud du Mexique. Mario Luis Lopez y avait une entreprise de construction et une salle de billard. Sa famille et lui se sont retrouvés dans la mire d’un influent politicien local après qu’il ait refusé de blanchir de l’argent pour une organisation criminelle.
Andrea Doria a conséquemment perdu son emploi, et l’on a menacé d’enlever ses deux enfants. Mario Luis a éventuellement été kidnappé, battu et laissé pour mort. Il porte encore les cicatrices de son agression, a pu constater Métro. La famille Lopez s’est caché un certain temps chez un ami, avant de quitter le pays.
À ce jour, des individus louches rôdent toujours autour de la maison de la mère de Mario Luis et l’ont interrogée à son sujet. Son frère, Miguel de Jesus Lopez Jimenez, en témoigne dans une lettre soumise par la famille et le bureau de Mario Beaulieu au ministère de l’Immigration pour démontrer le danger qu’encourent les Lopez s’ils retournent au Mexique.
Aucune évaluation des risques en bonne et due forme n’a été réalisée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada avant que le renvoi du pays ne soit ordonné. C’est du moins ce qu’indique la directrice du bureau de Mario Beaulieu, Sophy Forget Bélec.
Étant donné la tension actuelle, moi-même ainsi que le reste de la famille t’implorons sincèrement de ne pas revenir. Nous souhaitons préserver ta sécurité et ton bien-être.
Extrait de la lettre de Miguel de Jesus Lopez Jimenez, frère de Mario Luis Lopez
«Ici au Chiapas, il n’est plus possible de vivre. Je vis dans la terreur face à tant de violence, de vols, de secrets, de fusillades, de viols, et j’ai peur de sortir à cause des évènements qui se produisent, de nombreuses filles disparues, assassinées» relate pour sa part la meilleure amie de Maria Fernanda, dans une autre lettre soumise en preuve. «Si jamais tu envisages de revenir, ne le fais pas.»
L’intervention ministérielle, dernier espoir
Une simple erreur de date a fait dérailler le dossier d’immigration de la famille, explique Jacques Savard, attaché de Mario Beaulieu qui s’occupe des dossiers d’immigration. «À la Commission [de l’immigration et du statut de réfugié], tout est basé sur la crédibilité des témoins», poursuit-il. «Il n’y a pas de cœur [dans les procédures] d’immigration.»
La famille Lopez a appris son renvoi du pays le 8 juin dernier. Initialement pleine d’espoirs en raison des recours encore à leur disposition, l’avocate de la famille dégonfle rapidement leurs attentes. Ces recours sont très coûteux — près de 6000 $ en honoraires— et ont peu de chance de succès. «C’était comme une claque dans la face», se rappelle Maria Fernanda.
À la suggestion de leur avocate, elle demande rapidement l’aide de leur député, le bloquiste Mario Beaulieu, pour suspendre les procédures de renvoi. Sophy Forget Bélec et Jacques Savard ont entamé une démarche auprès du ministre de l’Immigration du Canada, Sean Fraser. Le 20 juin, après une séance parlementaire à la Chambre des communes, Mario Beaulieu a interpelé personnellement Marie-France Lalonde, la secrétaire parlementaire du ministre de l’Immigration au sujet de la famille Lopez.
«Quand une famille débarque au bureau et te dit «on veut que tu nous sauves la vie», je pense que c’est un devoir, souligne Sophy Forget Bélec. Ils vont à l’école ici, ils apprennent ici, ils ont des amis ici, ils ont fait leur vie ici.»
Bâtir une vie ici
«C’est un choc. Un jour, on te dit, tu dois sortir du Canada et l’autre jour on te dit, bienvenu au pays», explique Mario Luis Lopez, en larmes. Les remerciements de tous les membres de la famille Lopez à l’égard de Mario Beaulieu et son équipe ont fusé tout au long de la rencontre avec Métro.
L’obtention du sursis relève d’un réel travail d’équipe, souligne le député. «Tout leur milieu, les gens à leur travail, les organismes communautaires: tout le monde était prêt à donner un coup de main», précise-t-il.
Ça n’a pas de bon sens. Laisser les gens s’installer ici — il y en a que ça fait cinq ou six ans — puis on les expulse. Les délais sont beaucoup trop longs.
Mario Beaulieu, député de La Pointe-de-l’Île pour le Bloc québécois
«Nos parents viennent ici pour travailler, pour apprendre la langue, pour donner une nouvelle vie à leurs enfants», explique Elizabeth Sandoval, directrice générale de la banque alimentaire Chapi Chapo, qui a accompagné la famille Lopez dans ses démarches. Mme Sandoval a elle-même immigré au Québec avec ses parents en 1972. «Dans nos pays, on n’a pas d’avenir, mais ici on en a un, poursuit-elle. C’est ça, le Québec pour nous.»
«Le Canada me donne une nouvelle opportunité», se réjouit Mario Luis Lopez. Sa conjointe et lui travaillent à l’usine Hutchinson, tandis que Maria Fernanda travaille dans une bijouterie de Saint-Léonard. Il est également vice-président de la banque Alimentaire Chapi Chapo.
«Si je peux contribuer à faire du Canada un meilleur pays, je vais le faire», conclut-il.