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Le film Cher Jackie maintient vivante l’histoire de la communauté noire de la Petite-Bourgogne

Projection du film Cher Jackie au HEC à Montréal. Panel : Feven Ghebremariam (animatrice), Henri Pardo (réalisateur du film) et David Shelton (participant au documentaire) Photo: Karla Meza, Métro

«Qu’est-ce qu’on pourrait dire à Jackie si on l’avait devant nous aujourd’hui?» Voilà la question à laquelle Henri Pardo souhaitait répondre en réalisant son film, Cher Jackie, qui vient d’être mis en nomination dans trois catégories aux Prix Écrans canadiens 2023.

Le film se veut une lettre cinématographique destinée à Jackie Robinson, premier homme noir à briser la barrière raciale dans le baseball professionnel en se joignant au Royaux de Montréal en 1946, premier homme noir ayant joué dans les Ligues majeures de baseball et homme qui a contribué à paver la voie au mouvement des droits civiques aux États-Unis.

En ficelant une narration poétique et intime avec des témoignages émouvants et des images d’archives et contemporaines en noir et blanc, le réalisateur brosse un portrait des résidents du quartier de la Petite-Bourgogne et raconte l’histoire de la première communauté noire de Montréal, connue comme le Harlem du Nord.

Cher Jackie a été présenté au HEC Montréal le 27 février, pour clôturer le Mois de l’histoire des Noirs. La projection a été suivie d’une séance de discussion en présence du réalisateur et de David Shelton, participant au film, et animée par la réalisatrice Feven Ghebermariam.

S’ancrer dans la communauté

«Les gens de la Petite-Bourgogne étaient très craintifs lorsque je les ai rencontrés au début, parce que ce n’est pas la première fois qu’on s’intéresse à eux, mais souvent, rien ne leur revient en échange», raconte M. Pardo, qui tenait à établir un lien de confiance avec eux avant de pouvoir raconter leurs histoires.

J’ai rencontré beaucoup de personnes qui avaient des choses à raconter, mais elles avaient besoin d’être rassurées que leur parole allait être respectée.

Henri Pardo, réalisateur du long-métrage documentaire Cher Jackie

Le réalisateur d’origine haïtienne, né à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, s’est impliqué pendant près de deux ans auprès du comité citoyen du quartier, dans sa lutte pour faire renaître ce qui fut le premier centre communautaire noir de Montréal, le Negro Community Centre (NCC), démoli en 2014.

«Je me suis lié à eux, à leur cause, je me suis lié d’amitié avec plusieurs d’entre eux», dit celui qui dresse dans son film un portrait du racisme et des inégalités raciales dans la métropole en faisant un parallèle entre les époques, dans le but de déconstruire le mythe d’une société québécoise post-raciale.

Henri Pardo, réalisateur du film Cher Jackie Photo : Karla Meza, Métro

Perspective historique et sociale

Lieu emblématique et rassembleur de la communauté noire à Montréal de sa fondation en 1927 jusqu’à sa fermeture en 1993, le NCC devient un point d’ancrage dans le film, auquel s’accrochent des témoignages puissants et chargés de nostalgie des résidents du quartier. Ces derniers partagent leurs souvenirs et leurs histoires personnelles d’une époque dorée et résiliente, mais aussi leurs expériences douloureuses et les cicatrices laissées par le profilage racial et le racisme subit par la communauté noire, hier comme aujourd’hui.

En mettant de l’avant aussi bien des images du Club des femmes de couleur de 1912 que des images des murales décorant aujourd’hui les rues du secteur, M. Pardo relate la transformation du quartier et met de l’avant l’effet dévastateur de la gentrification sur la communauté à travers les époques.

«Je tenais à faire un film en noir et blanc [parce que] cela enlève le superflu et engage [le spectateur] à compléter les images. Je voulais jouer avec le temps», explique le cinéaste sur son choix de construire le film avec des images monochromes, afin d’y intégrer une sensation d’intemporalité.

Photo: Gracieuseté

Être au cœur du récit

Pour réaliser son film Cher Jackie, lancé en 2021 aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), M. Pardo a été inspiré cinématographiquement par le film documentaire Golden Gloves, qu’il a découvert il y a 25 ans.

«J’ai été inspiré par les jeunes boxeurs de Saint-Henri des années 1960, par mon amour du jazz, mais par-dessus tout, par l’amour de notre histoire en tant qu’afro-descendants», dit le réalisateur, actuellement nommé finaliste dans la catégorie Cinéaste/Réalisateur.trice de l’année au Gala Dynastie 2023.

C’est vraiment important pour moi de nous placer au centre des histoires, de les raconter de notre façon et d’avoir des personnages et des situations bien enracinés dans notre vécu.

Henri Pardo, acteur et réalisateur de la série documentaire Afro Canada, ainsi que réalisateur et producteur du film documentaire Afro-Prospérité

Préserver la mémoire collective

M. Pardo souligne sa difficulté à mettre la main sur des archives liés à la communauté noire de Montréal durant la réalisation de son film.

«Notre passé est effacé de façon systématique. C’est pourquoi il faut faire en sorte de rendre publics et disponibles toutes les photos ou tous les articles de journaux que nous pouvons peut-être trouver cachés en quelque part», incite le réalisateur, membre fondateur de Black on Black films et cofondateur de Black Wealth Media.

David Shelton, participant au documentaire et à la discussion du 27 février, soutient pour sa part que ce qui est enseigné actuellement dans nos établissements d’enseignement «contribue à perpétuer la déshumanisation des personnes afro-descendantes et autochtones et à effacer leur histoire».

«Il y a un effacement systématique de l’histoire des sociétés autochtones et afro-descendantes, qui ont existé pendant de milliers d’années, non seulement à Montréal, mais partout en Amérique du Nord. On vit dans un endroit où quelque chose de terrible est arrivé et maintenant, on bâtit une société sur de l’esclavage et du génocide. Mais nous pouvons et nous devons corriger le programme», exprime le premier chef des opérations des pompiers afro-descendants, qui est au Service d’incendie de la Ville de Montréal depuis trois décennies.

Film primé

Le long métrage documentaire produit par Catbird Films a remporté le prix Magnus Isaacson lors de sa première mondiale en 2021 à la 24e édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Le jury avait salué «le courage de son auteur de dire, de façon poétique et sans concession, ce qui est supprimé dans les discours officiels».

Il est possible de visionner la version en anglais du film sur la plateforme CBC Gem.

Ce texte a été produit dans le cadre de L’Initiative de journalisme local.

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