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Dans le fief des cartels amazoniens

Photo: David Riendeau

Le Pérou est devenu le premier exportateur mondial de cocaïne, surpassant la Colombie. Près du tiers de la production nationale vient de la Vallée des rivières Apurimac, Ene et Mantaro (VRAEM), où un conflit s’enlise entre l’armée et les narcoterroristes.

Au premier regard, San Francisco, sur la rive gauche de l’Apurimac, ressemble à n’importe quelle ville de pionniers dans l’Amazonie péruvienne : forte prédominance de l’ethnie quechua, chaleur étouffante parmi les constructions de ciment dans un paysage tropical. Mais là s’arrête la comparaison, car San Francisco se trouve dans la plus grande région productrice de coca du pays, en plein fief des narcotrafiquants.

Partout, d’innombrables parcelles cultivées donnent aux collines l’aspect de damiers verts. Des champs de coca. Sur le pas des maisons, de lourds sacs remplis de feuilles attendent le camion de chargement.

Sur le chemin qui descend de la ville de Huamanga à l’Apurimac, un seul point de contrôle policier surveille ce qui s’avère la principale route de sortie de la feuille sacrée des Incas, vendue brute, en roche ou raffinée.

La coca est le principal moteur de l’économie locale. Sur 100 cultivateurs de la VRAEM, près de 90 sont des cocaleros. Plus rentable que le café ou le cacao, la coca se récolte trois fois l’an et demande peu d’entretien. La sociologue péruvienne Anahi Durand suit de près le mouvement cocalero. «Huamanga a connu un développement très important ces dernières années grâce à l’argent du narcotrafic. Il est fréquent de voir des enfants des régions voisines descendre dans la vallée pour participer aux récoltes durant les vacances scolaires.»

Chaque cocalero est propriétaire de sa parcelle de quelques hectares, dont il vend le produit soit au gouvernement – la culture est légale –, soit aux narcotrafiquants péruvien. Les cartels colombiens et mexicains leur achètent la coca sous forme de pâte basique ou raffinée.

«Dans toute la chaîne du trafic, le producteur est celui qui gagne le moins et celui qui est le plus vulnérable, observe Anahi Durand. Les campagnes d’éradication menées par la police résultent souvent en la saisie de biens, sous prétexte que ceux-ci ont été acquis avec de l’argent sale.» De plus, les mochileros, petits passeurs de drogue, risquent d’être attaqués par des membres des cartels rivaux.

Malgré les programmes d’éradication du gouvernement, appuyés par Washington, ce pays d’Amérique du Sud est en voie de devenir le premier producteur mondial de coca, devant la Colombie. De 2005 à 2009, la superficie des champs dédiés à la culture de la coca est passée de 48 200 hectares à 59 900 hectares au Pérou. Près du tiers des récoltes provient de la VRAEM.

«Dans les années 2000, les efforts d’éradication de Lima et de Washington ailleurs dans la jungle ont déplacé le problème vers la VRAEM», affirme le journaliste d’investigation au quotidien La Republica, Angel Paez.

Bien qu’aucune figure emblématique à la Pablo Escobar n’émerge des cartels péruviens, l’influence des narcotrafiquants sur la société est considérable. «Sans parler de corruption généralisée, les narcos sont capables de parvenir à un niveau très élevé chez les policiers et les militaires, et ce phénomène tend à augmenter», estime Angel Paez.

Le déclin des cartels colombiens et la montée des mexicains dans la VRAEM expliqueraient en partie ce phénomène. «Nous sommes loin de l’image des barons de la drogue colombiens des années 1980, avec la grosse maison et les femmes-objets, mentionne Anahi Durand. Les narcos d’aujourd’hui sont plus discrets et exercent leur influence d’une autre façon.»

Le narcoterrorisme : un cocktail explosif
La présence du Sentier lumineux (SL) dans la VRAEM, un groupe terroriste d’idéologie maoïste responsable d’une guerre qui a fait 60 000 morts et disparus dans les décennies (1980-2000), complique la donne.

La région du Haut-Ene est le théâtre d’une guerre larvée entre les forces de l’ordre et les colonnes du SL. Des attaques à la roquette et des embuscades avec morts de soldats sont souvent rapportées dans les médias locaux.

Dans la VRAEM, le Sentier lumineux est dirigé d’une main de fer par les trois frères Quispe-Palomino, élevés dès l’enfance dans un camp d’endoctrinement. Le SL n’hésite pas à enlever des enfants pour les entraîner dans de pareils camps au milieu de la jungle.

Avec les années, les narcotrafiquants et le SL se sont rapprochés. «Les cartels fournissent argent et armes, les terroristes offrent une protection en retour, bien que maintenant, ils ont aussi leur propre production de coca et de pâte basique, indique Angel Paez.

Les “camarades” José, Gabriel et Raoul jouissent d’une influence considérable dans la région parce qu’ils ont le soutien des cocaleros. Pourquoi? Parce qu’ils défendent leur mode de vie par l;’intermédiaire de la guerre contre l’État.»

Série Amazonie
À lire demain :

  • Au cœur de l’Amazonie péruvienne, une poignée de professeurs luttent pour la survie culturelle de leur peuple.

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