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Les mots de trop

Frédéric Bérard

J’avais eu vent, il y a quelques semaines à peine, que Jolin-Barrette et sa garde rapprochée s’attendaient à une défaite en Cour d’appel, à propos de la suspension de la loi 21 d’ici les auditions sur le fond.

Le ministre, me soufflait-on de source crédible, préparait ainsi ses canons afin de s’attaquer à la crédibilité de la cour.

Au programme? La bonne vieille cassette du «gouvernement des juges», de la non-légitimité de ceux-ci dans le débat politico-démocratique, et blablablibloblu.

Mieux: histoire de marquer un gros coup, le ministre pensait recourir à nouveau à la disposition dérogatoire POUR L’ENSEMBLE des prochaines lois québécoises, histoire de punir le judiciaire de son outrecuidance (ce que d’autres, dont moi, appelleraient tout simplement «avoir fait sa job»). Le bazooka pour pulvériser le brûlot.

«N’importe quoi», ai-je dit à l’une de mes sources. Les opposants à la loi 21 n’ont ici aucune chance de gagner en Cour d’appel. Sont allés trop vite, la preuve est bâclée et, surtout, obtenir la suspension d’une loi contestée sur le fond relève, de toute façon et de manière générale, du quasi-miracle.

La raison? Qu’une (forte) présomption de constitutionnalité protège, à juste titre probablement, l’ensemble des lois, du moins jusqu’à preuve du contraire.

Je vous épargne, enfin, ma réaction à l’idée «saugrenue» du ministre de plaquer la dérogatoire sur tout ce qui bouge (ceux qui me lisent ici l’imaginent, de toute façon, assez aisément). 

Surprise totale, donc, quand les propos de la juge Duval-Hesler sont venus à mes oreilles.

Première réaction? Un éclat de rire aussi sonore qu’infini. La juge en chef du Québec qui réduit, sans ambages, les supporteurs de la loi 21 à des gens souffrant… «d’allergies visuelles»?!? Tellement gros que désopilant. 

Peu importe la suite, le gag est pas mal moins drôle, maintenant… 

En fait, même moi, qui ai choisi délibérément l’humour comme porte de sortie devant cette désespérante humanité en train de se déchirer en lambeaux, je n’aurais jamais osé employer un qualificatif de la sorte.

Parce que non seulement cela est d’un mépris assumé, mais aussi parce qu’il écarte, sans nuance, le fait que plusieurs fans de la loi ont des raisons nobles et légitimes de le faire, soit le principe, neutre et défendable, de la nécessité d’une laïcité étatique. 

Suis-je d’accord avec eux? Bien sûr que non, notamment parce que ces derniers se méprennent, à mon sens, sur la portée réelle du concept de laïcité. Celle-ci doit plutôt être comprise dans l’optique de «neutralité religieuse», où il est interdit à l’État de favoriser ou de discriminer sur la base de la religion.

Idem sur le fait que l’institution, et non l’individu, doit conséquemment être visée. Tout le contraire, ainsi, de la loi 21.

Et à ceux qui plaident que celle-ci ne «discrimine pas, du fait qu’elle s’applique à TOUTES les religions», repensez donc deux secondes à votre argument.

Si elle s’applique à toutes les religions, comme vous dites, c’est donc qu’elle crée une distinction entre les croyants et les non-croyants, n’est-ce pas? Ben voilà.

Cela dit, confiner l’ensemble des supporteurs de la loi 21 au rang «d’allergiques chroniques» me semble fort en café, et ce, particulièrement pour une juge, a fortiori la juge en chef du Québec. 

Difficile, par conséquent, de blâmer Frédéric Bastien, candidat anticipé au leadership du PQ, d’avoir déposé dernièrement une plainte au Conseil de la magistrature. Les chances de succès de celle-ci? Moyennes au mieux.

Les propos ont visiblement été tenus dans le feu de l’action, et non de manière écrite à la suite d’une décision réfléchie et à froid.

Autre élément à considérer: le Conseil punit d’ordinaire l’inconduite. En est-ce une? Reste toutefois que l’impression de partialité, indubitable, persiste.

L’autre problème: le Conseil de la magistrature risque de prendre un certain temps avant de rendre son verdict, alors même que la Cour d’appel était manifestement sur le point de rendre le sien.

Conclusion? Peu importe la suite, le gag est pas mal moins drôle, maintenant… 


Frédéric Bérard est avocat-conseil auprès d’une étude contestant actuellement, par un autre recours, la loi 21.

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