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La Cour suprême, c’est comme la tour de Pise

CHRONIQUE – Ma dernière chronique portant sur la volonté d’Ottawa d’encadrer l’usage de la dérogatoire m’a valu, sans surprise, son lot de remontrances. La plus fréquente – et prévisible – consiste à me rappeler une «évidence» qui, à l’instar de maintes cassettes démago-victimaires, joue en boucle à tous les haut-parleurs partisans: La Cour suprême, Bérard, c’est comme la tour de Pise, ça penche toujours du même bord, contre le Québec!

Me prend alors l’irrépressible envie de rétorquer à mon interlocuteur ceci: Vous savez de quelle bouche est sortie cette boutade? Et dans quel contexte? C’est ainsi que survient la partie la plus comique de l’affaire: celle où il apprend que les propos ont été tenus par Maurice «le Cheuf» Duplessis, et ce, à la suite de deux retentissants échecs subis par Le Noblet: d’abord, quand le plus haut tribunal du Canada invalida son infâme Loi sur le Cadenas, laquelle visait – comme son surnom l’indique – à fermer péremptoirement tout immeuble où se serait tenue quelconque rencontre ou lecture subversive, i.e. à saveur communiste. Ensuite et surtout, quand la Cour suprême le condamna à payer personnellement – une première – des dommages-intérêts à Roncarelli, un restaurateur dont le permis fut retiré arbitrairement, méchamment et sans raison autre que son appui aux Témoins de Jéhovah harcelés, voire emprisonnés, par le duplessisme ambiant.

La question, donc, à mon accusateur: Vous n’auriez pas rendu les mêmes décisions, honnêtement? Qui est le salaud, ici? Le tribunal ou le Cheuf?

Si, par conséquent, roule toujours aujourd’hui la cassette du complot-partialité, celle-ci réside dans l’aphorisme suivant: ne jamais laisser les faits se glisser dans le chemin d’une bonne histoire.

***

Ce qui précède, bien entendu, ne confirme en rien l’inverse, c’est-à-dire que la Cour serait exempte d’erreurs, de biais ou de distorsions idéologiques. On pense notamment au Renvoi sur le rapatriement, où une analyse dénuée de «real politic» aurait dû forcer un droit de veto à toute province, Québec nécessairement inclus.

Reste que, au contraire des notes, sons et bruits de la cassette discutée, un bilan des dernières décennies oblige plutôt la conclusion suivante: le Québec, n’en déplaise, n’a rien d’une victime du prétendu bulldozer judiciaire trudeauiste.

En bref et vrac, quelques illustrations:

1.           Dans Ford (1988), où il est question de l’affichage unilingue français de la Loi 101, la Cour confirme que le fait pour Québec de promouvoir la langue majoritaire constitue un objectif réel et urgent. Plus percutant: elle statue que l’usage de la dérogatoire puisse s’effectuer sans condition de fond, volet que la décision que Trudeau fils songe maintenant à attaquer, de là sa sortie récente. Ironie, quand tu nous tiens. D’aucuns diront: si tout ceci est vrai, pourquoi et comment la Cour a-t-elle pu invalider la disposition sur l’affichage unilingue français? Réponse: en vertu de la…Charte québécoise, non suspendue par la dérogatoire. Mieux: parce que le PGQ de l’époque avait refusé, malgré les invitations formelles de la Cour, à plaider l’ensemble des critères.

2.           Lors du Renvoi sur la sécession (1998), le tribunal crée de toutes pièces une obligation de négocier forçant Ottawa et les provinces à s’assoir avec Québec, advenant une volonté claire de sortir du cadre canadien. Grande victoire pour la démocratie.

3.           Dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières (2011), la Cour rejette le projet fédéral d’uniformisation, protégeant dès lors les compétences québécoises en la matière, dont la chasse gardée de l’AMF.

4.           Idem pour le Renvoi relatif à la réforme du Sénat (2014), où l’on interdit à Ottawa de faire cavalier seul.

5.           Quant au Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême (2014), art. 5 et 6, celle-ci pulvérise les prétentions du gouvernement Harper, et refuse sa nomination du juge Nadon. Motifs? Qu’il faille à tout prix comprendre les trois jobs de magistrats en provenance du Québec comme étant «destinés à protéger les traditions juridiques et les valeurs sociales du Québec». Ces valeurs, de confirmer le tribunal, sont d’ailleurs «distinctes».

Une dernière ironie: les décisions qui précèdent l’ont été par des bancs habituellement composés, très majoritairement, de juges nommés par le parti alors au pouvoir. Comme quoi une nomination ne signifie, en rien, un chèque en blanc en faveur du gouvernement siégeant.

Mais à quoi bon, ici encore, laisser la platitude des faits intervenir en pleines pages d’un récit national victimo-juteux?

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