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Voici comment il est devenu prof en 15 minutes 

Photo: Denis Germain, Métro

À l’aube de la trentaine, las de son métier dans le secteur des semi-conducteurs, Pierre-Alexis Nault décide d’appuyer sur la touche pause, le temps de se chercher un autre défi. Un article de presse lui inspire sans tarder une nouvelle vocation : enseignant. Retour sur une reconversion professionnelle pour le moins surprenante.

Grand comme un basketteur, Pierre-Alexis Nault ne passe pas inaperçu lorsqu’il fait son entrée dans le café. Il se dirige d’un pas assuré vers la mauvaise table et salue une dame qui le regarde d’un air confus. Il rattrape sa bourde d’un grand sourire en attendant que nos regards se croisent et qu’il s’installe à la (bonne) table. Le temps de retirer son manteau et de commander un cappuccino, il entame le récit de sa vie en s’attardant plus particulièrement sur le dernier chapitre : sa carrière éclair d’enseignant dans une école de Montréal-Nord.

De la Poly à Montréal-Nord

Sur papier, Pierre-Alexis Nault est candidat à la profession d’ingénieur (CPI). En pratique, il est diplômé en génie électrique de l’École polytechnique de Montréal. En fait, à sa sortie de l’université, il a travaillé pour une entreprise spécialisée dans les semi-conducteurs et les processeurs numériques pour le traitement des données, avant de s’improviser professeur au secondaire.

Après trois ans, il avait envie de vivre de nouvelles expériences à l’extérieur du monde cartésien. Assez pour quitter son emploi, déployer ses antennes et se mettre à l’affût du moindre signe annonciateur de changement. Signe qui lui est apparu sous la forme d’un article de journal sur la pénurie d’enseignants au Québec. Cet article l’a poussé à envoyer spontanément son CV à de nombreuses écoles secondaires. «Avec mon background en ingénierie, je me suis dit que je devais au moins être éligible pour faire de la suppléance…»

Quinze minutes après avoir déposé sur un coup de tête sa candidature pour enseigner à l’école secondaire Henri-Bourassa, il était au téléphone avec le directeur de l’établissement. «On était un jeudi. J’ai commencé le lundi suivant, avec cinq groupes d’élèves de secondaire à ma charge.»

Marché conclu

En avalant la première gorgée de son café, Pierre-Alexis raconte que le lendemain du coup de fil, un vendredi, il se trouvait dans le bureau du directeur de l’école, diplômes et relevés de notes à la main, avec comme seules expériences pédagogiques quelques années passées comme animateur de camp de jour et sauveteur dans les piscines publiques de sa ville natale, Gatineau.

Qu’à cela ne tienne, le directeur de l’école lui propose un marché. Au lieu d’engager «un suppléant qui va donner aux élèves des exercices dans le manuel à faire en silence», le directeur lui offre «la chance d’apprendre à enseigner» grâce à un accompagnement constant assuré par son équipe pour la durée de son contrat de suppléance, soit un mois et demi. Une offre que Pierre-Alexis a tout de suite acceptée. «C’était exactement le genre d’expérience que je voulais vivre.»

Ensuite, tout a déboulé. L’établissement scolaire a consacré la fin de semaine à la vérification des antécédents judiciaires pendant que Pierre-Alexis a passé ces deux courtes journées à gérer ses vertiges et calmer ses craintes. «J’ai été à l’école privée. Je n’avais jamais mis les pieds dans une école publique pendant les heures de cours. J’avais de l’appréhension par rapport à ça. Je ne connaissais pas non plus l’arrondissement de Montréal-Nord.»

Place à l’improvisation

Le lundi suivant, l’arrivée surprise de ce grand gaillard souriant dans la classe a su piquer la curiosité des jeunes et a joué en la faveur de Pierre-Alexis. «Les élèves t’écoutent plus la première semaine que la deuxième. Ils te regardent.»

Ensemble, ils sont tranquillement «montés dans le train», en se guidant à l’aide du manuel et du matériel pédagogique laissé par sa prédécesseure.

«Le premier cours, j’avais comme objectif de me rendre à la troisième page d’un chapitre. Au bout de deux semaines, j’avais pris connaissance du matériel, j’avais appris les noms de tous mes élèves et j’en avais changé quelques-uns de place», blague-t-il.

Pierre-Alexis a découvert en chemin la science derrière la gestion d’une classe grâce à une formation de huit heures qu’il a suivie au début de son mandat. Relativiser les attaques personnelles faites par des enfants parfois troublés, enlever l’occasion à un jeune de se donner en spectacle en classe en le réprimandant en secret, effectuer des interventions de groupe pour contrôler de mauvais comportements commis simultanément par plus de huit élèves : voilà quelques astuces normalement transmises au baccalauréat en enseignement. Un diplôme qui vaut bien son pesant d’or, selon Pierre-Alexis.

Ce dernier a également pu bénéficier du soutien et de l’accompagnement périodiques de ses collègues à l’extérieur des heures de cours. «On me donnait des méthodes et on m’informait de la situation de certains élèves. Par exemple, on me disait qu’un élève avait eu une semaine difficile à la maison et que s’il n’allait pas bien, je pouvais l’envoyer au bureau d’une intervenante pour que je puisse continuer mon cours.»

Dans le même ordre d’idées, d’autres enseignants ont assisté aux cours donnés par Pierre-Alexis pour veiller à leur bon déroulement et en profiter pour lui prodiguer des conseils. Parmi ceux-ci, apprendre à parler plus simplement aux élèves.

«J’avais de la misère à savoir ce qu’étaient des connaissances générales pour eux. Ils savent ce qu’est un volcan, mais ils ne savent pas d’où provient le magma, par exemple. J’avais oublié ce qu’un enfant de 12 ou 13 ans savait ou pas sur le monde naturel.»

Pour vérifier l’acquisition réelle des connaissances par ses groupes, il s’est assuré de les évaluer à l’aide de jeux-questionnaires. Se montrer à l’écoute des commentaires d’élèves s’est aussi avéré instructif pour Pierre-Alexis. Ceux-ci lui ont avoué à un moment s’ennuyer de leur professeure régulière et de son «cadre très ferme», mais sécurisant. «J’avais un cadre plus lousse. J’essayais des façons de leur apprendre la matière du mieux que je pouvais, mais ça créait une instabilité dans la classe.»

Il a rapidement ajusté ses méthodes d’enseignement, notamment en encadrant davantage les élèves. «J’ai commencé à mettre l’horaire du jour au tableau chaque matin. Nommer les points qu’on va voir donne l’impression qu’on progresse. Ce n’était pas un réflexe pour moi de le faire. À l’université, tu ne sais pas où ça s’en va.»

Une bonne leçon de science?

Durant cette heure passée à discuter, le café, à peine entamé, a eu le temps de refroidir entre les nombreuses digressions de Pierre-Alexis sur les plaques tectoniques, le pH, l’érosion du sol, le relief terrestre, les séismes et les volcans.

Sa nature curieuse est profonde et sa passion pour la science, qu’il a tenté de transmettre aux élèves, est indéniable. «J’ai tout fait pour que ce soit dynamique, intéressant.»

S’il est passé comme un coup de vent dans le réseau scolaire, il croit néanmoins avoir contribué à l’instruction de ses élèves. Bien qu’il se soit parfois senti comme un élément «déstabilisant» dans leur vie avec son style d’enseignement différent et son apparente désinvolture, il croit leur avoir donné une bonne leçon de science.

«Fondamentalement, la science c’est l’imprévu, l’inconnu, la surprise.»

En prononçant ces mots, Pierre-Alexis se rend compte que le dernier de ses groupes est actuellement en train de passer l’examen qu’il a préparé tout juste avant que ne s’achève son contrat de remplacement, soit le 10 mars dernier. Il n’a reçu aucune nouvelle depuis qu’il a quitté l’école pour retourner travailler dans son domaine. «Peut-être que je vais entendre que les élèves ont bien réussi…»

Pierre-Alexis Nault. Photo: Isabelle Chénier, Métro.

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