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Malgré tous les efforts, ne devient pas professeur qui le veut 

Photo: Denis Germain, Métro

Le Chibougamois Samuel Girard-Lindsay s’est retrouvé dans le monde de l’éducation un peu par hasard, à la suite d’une série de revers professionnels. Trois ans plus tard, malgré ses qualités indéniables de pédagogue, son expérience d’enseignant s’est elle aussi soldée par un échec. Bien malgré lui.

La rencontre se déroule dans une buvette de la rue Wellington, à Verdun, où il habite. Malgré le bruit de fond ambiant, sa voix de stentor résonne à travers la salle remplie. Samuel n’est pas du genre à passer inaperçu. Ni par y aller par quatre chemins. Aussitôt assis, il se lance sans filet dans le récit de ses aventures d’apprenti enseignant.

Samuel Girard-Lindsay a quitté son Chibougamau natal pour venir s’installer à Montréal il y a une dizaine d’années, motivé par l’idée d’étudier l’histoire, une discipline qui convient à sa curiosité, sa soif d’apprendre. À sa polyvalence, aussi. Auteur de deux romans fantastiques, ex-membre d’un groupe de musique qui a connu ses petits moments de gloire, amateur de théâtre, dessinateur et peintre à ses heures, ce jeune trentenaire carbure à la création depuis l’adolescence, avec l’histoire en filigrane. «Je n’aime pas vraiment le présent.»

Avoir l’esprit ailleurs

Son diplôme universitaire en poche, Samuel se frotte à la réalité. Entre espoirs et désillusions, il postule à quantité d’emplois plus ou moins reliés à son domaine. «Je me sentais comme un imbécile avec un bac. J’avais juste un papier dans les mains.» Samuel explique avoir dû mettre de côté son orgueil et se résigner à travailler quelques mois comme emballeur dans une épicerie, avant de s’improviser vendeur de produits biologiques québécois durant deux ans et demi pour une entreprise maintenant en faillite. C’est pendant ces moments difficiles que l’idée d’enseigner lui est venue, par l’entremise d’une amie. «J’aime travailler avec les jeunes. J’ai fait beaucoup de scène dans ma vie, j’aime raconter, parler à une audience…»

En 2019, il décide d’envoyer sa candidature au Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) pour être suppléant au secondaire en histoire, en éthique et culture religieuse, et en arts plastiques et dramatique. «J’ai d’abord été refusé. Mais, quand j’ai appelé au CSSDM, on m’a dit que le rejet de ma candidature était une erreur parce qu’on trouvait mon curriculum vitae intéressant.»

Samuel a ensuite parcouru les méandres administratifs du processus d’embauche avant de rester sans nouvelles. En se penchant au-dessus de la table, le jeune homme souffle les paroles suivantes: «Si tu veux devenir enseignant, il faut que tu gosses les centres de services scolaires.»

Il a finalement envoyé un courriel pour rappeler au CSSDM qu’il était désireux de commencer à travailler. Deux jours plus tard, on lui a offert non pas une suppléance, mais une charge de cours dans une école secondaire dans l’ouest de Montréal.

Les soubresauts de l’histoire

En janvier 2020, Samuel a donc commencé à enseigner à temps partiel l’éthique et la culture religieuse à l’école Saint-Luc, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, à une classe d’élèves étourdis par une rotation constante de suppléants.

Comble de malchance, à peine un mois plus tard, la pandémie est survenue. «Personne ne savait quoi faire. Il n’y avait aucune consigne du ministère de l’Éducation, autre que de faire ce qu’on pouvait et donner des devoirs.»

Samuel a donc donné des devoirs et tenté d’organiser quelques classes à distance. «Les élèves ne venaient pas aux cours en ligne parce qu’ils n’y étaient pas obligés, qu’ils n’avaient pas d’ordinateur ou qu’ils vivaient dans une situation précaire.»

Depuis l’automne 2020, Samuel s’est promené d’est en ouest, de l’école Saint-Luc à l’école secondaire Louise-Trichet dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Il a vu des professeurs déserter les écoles, changer de carrière ou partir à la retraite plutôt que de faire face à la tempête. «Il n’y avait pas vraiment d’accompagnement pour aider les professeurs à aider les jeunes en difficulté d’apprentissage étant donné le manque de ressources spécialisées. J’ai essayé de les soutenir au mieux de mes capacités par la tolérance, la patience et l’écoute.»

Samuel a appris à intégrer la discipline dans son style d’enseignement et à créer une structure pour que sa classe soit sécurisante. «À chaque cours, il faut qu’il y ait une tâche précise et facile à comprendre pour que les jeunes développent leurs acquis.»

Une fin en queue de poisson

Au fil de son parcours, Samuel a pris goût au métier et a voulu obtenir son brevet d’enseignement par l’intermédiaire d’une maîtrise qualifiante en enseignement secondaire. Parmi les critères d’admissibilité, le candidat doit avoir obtenu une moyenne cumulative minimale universitaire établie par l’établissement d’enseignement supérieur. Et c’est là où le bât blesse pour Samuel. «J’ai suivi deux cours à l’université à temps partiel pour remonter ma moyenne et devenir admissible à la maîtrise. J’ai obtenu deux A+, mais ma cote est demeurée la même.»

Malgré tout, Samuel a décidé de postuler en décembre 2022, confiant que la pénurie d’enseignants et ses années d’expérience en milieu scolaire allaient jouer en sa faveur. Mais Samuel a été refusé.

«On m’a dit de compléter des cours universitaires pour remonter ma moyenne et ensuite faire une maîtrise. On me demande donc d’étudier cinq ans pour pouvoir faire la job que je faisais déjà. J’aime ça enseigner, mais pas à ce point-là.»

À ses yeux, tout ça a été un mal pour un bien. Une nouvelle perspective de carrière l’attend puisqu’il entamera sous peu une formation de 11 mois en programmation de jeux vidéo.

Samuel Girard-Lindsay. Photo: Denis Germain, Métro.

En réponse à la demande du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, concernant la création d’une voie rapide vers le brevet d’enseignement par les universités québécoises pour les enseignants non légalement qualifiés, l’Université TÉLUQ a annoncé le 24 mars dernier qu’elle offrirait, dès l’automne 2023, un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en éducation préscolaire et en enseignement primaire. Cette formation de 30 crédits sera offerte entièrement à distance.

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