Incursion dans le quotidien d’une infirmière à domicile de Montréal-Nord
À Montréal-Nord, près d’une personne sur cinq a plus de 65 ans. Le CLSC dispose d’une équipe d’une trentaine d’infirmières cliniciennes sur la route pour soigner les aînés, mais aussi les plus jeunes malades ou en convalescence dans leur domicile. Incursion dans le quotidien de l’une d’entre elles.
Isabelle Roy commence sa tournée dès 8h. Au cours d’un avant-midi, l’infirmière gestionnaire peut voir jusqu’à huit patients aux prises avec divers problèmes de santé.
Ce matin, elle se rend d’abord chez Gennaro Stabile. L’homme de 66 ans est en attente d’un rendez-vous avec un podiatre.
«Dès qu’il met ses chaussures, il a une plaie», explique l’infirmière. Le patient a aussi arrêté un traitement de chimiothérapie qui lui faisait plus de mal que de bien.
Conseiller en orientation, il est dans l’incapacité de travailler depuis deux ans. Il n’est pas certain qu’il pourra recevoir de l’assurance-emploi.
«La vie continue, mais il y a beaucoup d’inconnu», laisse-t-il tomber. Après son hospitalisation, Isabelle le voyait tous les jours. Elle lui rend désormais visite trois fois par semaine.
Perte d’autonomie
En route vers sa prochaine patiente, l’infirmière raconte avoir déjà travaillé en milieu hospitalier. Elle a adopté les soins à domicile pour l’autonomie professionnelle, mais surtout pour le contact privilégié qui se crée avec les patients.
Elle voit Claire Lamarre plusieurs fois par mois pour surveiller la coagulation de son sang. Aujourd’hui, elle lui administre aussi le vaccin contre l’influenza.
La dame de 76 ans est atteinte de sclérose latérale amyotrophique, une maladie dégénérative qui entraîne une paralysie progressive des muscles et une perte de motricité.
Son visage s’éclaire à l’arrivée de sa préposée auxiliaire. Dorzema Yphonna lui rend visite chaque jour depuis environ an, entre autres pour l’aider à faire sa toilette. «C’est un peu comme ma mère. On chante, on se raconte des blagues», raconte la préposée d’origine haïtienne employée par une agence.
Mme Lamarre s’estime chanceuse de bénéficier de sa présence depuis un an, une stabilité bienvenue vu l’intimité inhérente aux soins. «On ne veut pas se mettre toute nue devant n’importe qui», évoque la dame.
Un soutien variable
Les patients d’Isabelle n’ont pas tous le même réseau de soutien. M. Stabile se dit chanceux d’être bien entouré. L’une de ses filles habite tout près et ses parents, toujours vivants, viennent s’occuper de son jardin.
Pour sa part, Mme Lamarre habite avec sa fille, son gendre et leurs enfants dans une maison adaptée.
Mais tous n’ont pas cette chance. L’une des patientes à laquelle Isabelle rend visite ce matin vit avec un colocataire et peine parfois à payer son loyer. Dans sa petite cuisine, difficile de trouver des masques, des débarbouillettes et le reste du matériel destiné aux soins.
Avec l’aide de la travailleuse sociale, la dame dans la soixantaine a pu avoir accès à une subvention pour la stomie, un dispositif permettant de recueillir ses selles qui n’est pas fourni pour les gens soignés à domicile. Il y a toutefois une période tampon avant qu’elle puisse en bénéficier.
Entre-temps, même si ses intestins la font souffrir, elle a une peur bleue de retourner à l’hôpital.
Son état oblige néanmoins Isabelle à appeler l’ambulance. «C’est très rare, mais dans certains cas, on n’a pas le choix», dit-elle.
L’infirmière achève sa tournée du jour, mais doit se rendre au CLSC pour s’occuper des dossiers administratifs. Elle reverra certains de ses patients dès demain; d’autres devront attendre quelques jours ou à la semaine prochaine.
Les soins à domicile en chiffres
Selon les données fournies par le CIUSSS du Nord-de-l’Île de Montréal, 390 personnes sont actuellement sur la liste d’attente pour recevoir du soutien à domicile à Ahuntsic et Montréal-Nord. Ces personnes sont inscrites en ordre de priorité, en fonction de leur situation.
Seulement à Montréal-Nord, depuis le début de l’année, 3000 personnes ont reçu des soins infirmiers à domicile et 1200, de l’aide à la vie quotidienne, et ce, dans un contexte de pénurie de personnel soignant.
Les usagers peuvent être référés par un médecin, un autre professionnel de la santé, ou parfois par eux-mêmes ou un proche. Lors de l’inscription au guichet d’accès, un niveau de priorité est déterminé. Dans un courriel, le CIUSSS explique qu’une personne de priorité 1 sera vue le lendemain ou dans la semaine, selon la situation.
Des personnes peuvent recevoir plus d’un service, en fonction de leurs besoins. Certaines ne sont suivies que par une infirmière tandis que d’autres peuvent être suivies par une préposée auxiliaire ou une travailleuse sociale. Dans tous les cas, une professionnelle de la santé agit à titre d’intervenante pivot et coordonne les services.
Une majorité d’aînés
La pandémie de COVID-19 a braqué les projecteurs sur les conditions de vie des aînés vivant en CHSLD ou en résidence privée pour aînés (RPA).
Or, les trois quarts des Québécois en perte d’autonomie reçoivent du soutien à domicile de leur CLSC, selon un rapport paru cette année, signé notamment par l’ex-ministre de la Santé Réjean Hébert, un grand défenseur des soins à domicile.
Le soutien à domicile ne concerne toutefois pas que les aînés. Une infirmière comme Isabelle Roy évalue et soigne aussi des patients plus jeunes lorsqu’ils sont malades ou en convalescence. Elle a même parfois des enfants sous sa responsabilité.