Ces quartiers de Montréal qui n’existent plus
Quartiers disparus, un nouveau livre publié mardi et issu de l’exposition du même nom, cherche à préserver la mémoire collective de quartiers qui n’existent plus. Formé en grande partie de témoignages d’anciens habitants du Red Light, du Faubourg à m’lasse et du Goose Village, ainsi que de photos de bâtiments prises juste avant leur démolition, ce livre se veut le masque mortuaire de lieux qui ne sont plus.
Ces trois quartiers, tous populaires et caractérisés par les problèmes liés à la pauvreté, ont été rasés dans les années 1950 et 1960 pour faire place au progrès: le Red Light a laissé la place aux Habitations Jeanne-Mance, le Faubourg à m’lasse à la tour de Radio-Canada, et le Goose Village à l’autostade d’Expo 67, une piste de course démolie dans les années 1970.
Les photos des bâtiments qui figurent dans le livre ont toutes été prises par des équipes de la Ville qui faisaient une sorte d’inventaire des édifices qui étaient voués à la destruction. Selon le directeur du Centre d’histoire de Montréal, Jean-François Leclerc, qui a participé à l’élaboration du livre, il en résulte des images fidèles de la vie dans ces quartiers,
puisque les photographes ne cherchaient pas à prendre des clichés esthétiques.
«À première vue, ce ne sont pas de belles photos, mais le fait que ce soit des photos neutres, ça donne quelque chose de magnifique, parce que tu es devant le côté démaquillé de la réalité», estime-t-il.
«J’me dis après moi, ça sera pas fini, mais si personne en parle, là, ça va être fini. Y’a une partie de la ville de c’temps-là qui va être oubliée à jamais…» -Françoise Lemieux, résidante du Faubourg à m’lasse de 1939 à 1962 [extrait du livre]
M. Leclerc reconnaît que ces quartiers étaient parfois le théâtre d’une grande misère, mais l’expropriation brutale des résidants leur a surtout fait perdre leur communauté. Les anciens habitants du Goose Village semblent particulièrement regretter la disparition de leur quartier. C’est un deuil que certains d’entre eux livrent dans leur témoignage.
«Les gens qui vivaient ces destructions-là vivaient un mélange de stigmatisation de la pauvreté et du taudis, juge-t-il. Ces quartiers avaient des défauts, mais on a tout perdu en même temps. Ce qu’on aurait aimé garder, on l’a perdu.»
Il faut en revanche ajouter que la destruction de ces quartiers faisait en quelque sorte consensus à Montréal à l’époque, prévient M. Leclerc. «Il y avait tout un mouvement derrière ça depuis les années 1920. Les gens aimaient la modernité. La mentalité était: on s’en va vers une société nouvelle, on va se débarrasser des taudis, lance-t-il, mentionnant que les photos du livre servaient en quelque sorte à justifier l’expropriation. C’était une preuve que ces quartiers-là, peut-être que ça valait la peine de tout raser.»
Le directeur du Centre d’histoire dresse par contre un bilan mitigé du développement auquel la destruction de ces quartiers a donné lieu. Si les Habitations Jeanne-Mance sont généralement appréciées par leurs habitants, la tour de Radio-Canada est loin de faire l’unanimité d’un point de vue architectural. Et pire pour certains, l’essentiel de l’espace a été converti en stationnement. Quant au Goose Village, l’espace où il se trouvait est maintenant un terrain vague.