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La graine

Mes hommages. Il est de ces matins où, première gorgée de café au casseau, j’oublie. J’oublie que ce beau temps, ces timides pousses de tulipes et ce beau monsieur qui joue de l’accordéon au parc pour les tout-petits ne sont pas toujours garants d’un printemps nouveau. D’un printemps où, quin! on aura fait le tour d’un sujet. Où on aura appris des affaires. Où on s’émancipera la patte vers de nouveaux sommets. Eh bien, on repassera pour l’émancipation et les petites saucettes improvisées à la piscine publique.

Hier matin, l’instagrammeuse ok_not_ok m’a fait hisser le sourcil à un niveau de front jusqu’ici inexploré en photographiant un étalage d’un magasin Tigre Géant de Donnacona, étalage spicy et, ma foi, hautement estival où les tout nouveaux maillots de bain et bikinis battaient des cils vers les clientes. Bon. Je ne me ferai pas ici «Zoltar», fébrile voyant dans «Big», en soulevant la grande évidence :les maillots de bain et bikinis de ce monde sont déjà haute source d’anxiété pour bien des femmes.

Rien qu’en se dandinant la culotte sur un présentoir. Ce qui est fantastique, c’est que Tigre Géant a saisi cette réalité, cet instant de gorge serrée ressenti par les clientes de toute silhouette le moment venu d’envisager la baignade, et c’est sans hésiter que la bienveillante chaîne a cru bon d’installer un présentoir de produits Slim Fast au beau milieu des maillots de bain affichés «taille plus».

Une petite sélection de substituts de repas. Un petit clin d’œil complice. Une petite tape sur les fesses : «Vas-y, ma belle brume. On s’imagine bien que ton corps de taille plus, tu sais, celui qu’on prend soin d’identifier avec tant de poésie sur nos petits cartons, ben tu dois pas être heureuse avec, hein? C’est comme ça que les grassettes se sentent : mal dans leur peau et toujours dans l’attente de se prendre en main. V’là ta chance! Sinon, tu trouveras AUSSI de très coquets ponchos à motif de grosses fleurs dans l’allée des nappes.»

Quelque chose de délicat. Je ne suis pas tombée en bas de mon tabouret lorsque j’ai lu ce que l’instagrammeuse avait écrit dans son libellé : «… pis si vous vous demandez, y a pas d’équivalent du côté des hommes.»

Il est, bien évidemment, inutile que je me sorte la marionnette pour illustrer la violence de cette fin-finaude opération marketing. Parce qu’au-delà de l’indignation des clientes, il y a aussi celles qui, résignées ou peut-être simplement fragiles ce jour-là, en prendront une, boîte de Slim Fast. Et probablement pas le beau deux-pièces qui leur aurait procuré cette belle liberté estivale près d’un lac. Ce doux sentiment de ne faire qu’une avec la nature, le cuisseau à l’air, à ne rendre de comptes à rien d’autre qu’à son propre bonheur.

Tigre Géant s’inscrit dans la haute culture de la graine. De cette graine qui se sème et qui germe à l’insu de toute femme. Et qui détruit tout.

Me défenestrer serait doux.

La bise.

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