«La liberté académique ne peut être limitée que par la loi»
Le professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal Pierre Trudel estime que la liberté académique s’évalue par une interprétation de la loi.
M. Trudel donnait son avis sur le sujet jeudi matin dans le cadre de la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire.
Dans la foulée de plusieurs incidents survenus dans des universités où des étudiants ont tenté de limiter l’usage de certains mots et certaines œuvres, le gouvernement du Québec a mandaté un comité d’experts pour qu’il se penche sur le sujet de la liberté académique.
Les consultations auprès des acteurs en enseignement supérieur concernés ont débuté lundi.
Pour le professeur Pierre Trudel, la liberté universitaire prévaut à moins de démontrer qu’il y a une loi qui interdit de dire quelque chose, de faire quelque chose ou de diffuser quelque chose.
«Actuellement, ce qu’on observe, c’est qu’on ne fait pas cet exercice au sein de certains milieux universitaires, dénonce-t-il. Lorsque quelqu’un se plaint d’un propos ou de l’utilisation d’un mot, on ne se demande pas s’il y a une loi qui l’interdit. S’il y a une loi qui l’interdit, on l’interdit. Mais s’il n’y a pas de loi, la liberté prévaut.»
Responsabilité aux universités
Me Pierre Trudel fait notamment référence au premier cas très médiatisé de la professeure de l’Université d’Ottawa réprimandée pour avoir prononcé le mot en N, Verushka Lieutenant-Duval.
Quelques mois plus tard, on apprenait que l’Université McGill avait donné raison à une étudiante qui avait abandonné un cours de littérature en raison de la présence du «mot en N» dans le premier roman à l’étude.
Elle s’en est plaint et a été évaluée sur un autre roman, avant d’abandonner le cours, de se faire rembourser et d’obtenir ses crédits pour le cours abandonné.
Selon Me Trudel, les instances universitaires auraient dû «avoir le courage» de répondre aux étudiants mécontents qu’aucune loi n’interdit de citer ce mot ou de l’utiliser dans un livre.
«Il y a une distinction entre un mot dans un ouvrage qui, souvent, a été écrit il y a plusieurs siècles et le fait que quelqu’un, dans un contexte pédagogique ou universitaire, se mette à apostropher une personne sur sa couleur de peau», fait-il valoir.
Situations punies par la loi
À l’inverse, lorsque les tribunaux punissent un type de comportement, comme le harcèlement, l’agression ou la diffamation, il faut sévir, précise Pierre Trudel.
«Par exemple, une situation où de façon volontaire quelqu’un interpelle ou apostrophe une personne en fonction de sa race ou de son orientation sexuelle en lui lançant un commentaire ou une injure désobligeante, cela est déjà prévu dans la loi», dit-il.
Au début de l’année, une étudiante de l’UQAM avait dénoncé le fait que «plusieurs personnes blanches ont utilisé le mot en N en toute impunité, dans le sens où ni la professeure ni personne d’autre n’est intervenu».
Questionné sur ce cas précis, M. Trudel rappelle qu’il faut toujours examiner très sérieusement les circonstances. «Si ça devient très clair, compte tenu du contexte, qu’on fait exprès de le prononcer dans le but d’humilier ou d’insulter, là on se rapproche de ce qui est interdit», pense-t-il.
Processus pour départager les propos
Afin de départager les propos discriminatoires au sens de la loi des propos durs à entendre pour certains, mais qui ne sont pas interdits par la loi, Pierre Trudel est d’avis qu’il faut un processus public et transparent.
Selon lui, c’est aux universités de s’équiper d’un mécanisme de traitement de plaintes qui respecte les éléments fondamentaux des processus judiciaires.
«Ce qui est à éviter absolument est toute intervention gouvernementale qui habilitent des instances externes à s’ingérer dans la gestion des universités. Il faut plutôt garantir que la gouvernance collégiale des universités comporte des mécanismes assurant l’équilibre entre les différents pouvoirs des composantes de l’institution», écrit-il dans son mémoire soumis à la Commission.
Note: une version antérieure de cet article avait pour titre: «La liberté académique se limite à ce qui est permis dans la loi, dit un expert».