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Les voix de Montréal: Pointe-Saint-Charles, entre la «track» et le canal

Photo: Voix de Montreal
Steven High, Fred Burrill et Jean-Philippe Warren - Université Concordia

Dans le cadre du 375e anniversaire de la ville de Montréal, Métro s’est as  socié avec l’Université Concordia pour vous faire découvrir des quartiers fascinants par leur passé et leur présent. Ce mois-ci: Pointe-Saint-Charles.

Géographie

  • Borné par le canal de Lachine au nord, les terres du chemin de fer à l’est et au sud, ainsi que l’autoroute 15 à l’ouest, coupé d’un accès au fleuve par des clôtures et la voie ferrée, Pointe-Saint-Charles est littéralement enclavé. Pour cette raison, les résidents éprouvent le sentiment de se trouver en quelque sorte à l’écart du reste de la ville. Ils parlent souvent de leur quartier comme d’un village urbain.
  • La surface de Pointe-Saint-Charles a été considérablement agrandie dans les années 1940 et 1950. La ville transportait les déchets ménagers et industriels dans la décharge du quartier, ce qui permit de gagner du terrain aux dépens du fleuve. L’autoroute Bonaventure et un technoparc ont été aménagés sur le terrain de la décharge.
  • La station de métro Charlevoix a été dessinée sur deux niveaux, car les gisements de schiste Utica rencontrés lors de la construction ne permettaient pas de mettre les quais face à face comme dans les autres stations.

Hier

  • Les Premières Nations fréquentaient la Pointe depuis des milliers d’années avant qu’elle ne soit occupée par les Eurocanadiens. Les autochtones s’y installaient au printemps et à l’automne pour, entre autres, chasser l’oie et pêcher.
  • En 1642, Marguerite Bourgeoys obtint pour la Congrégation de Notre-Dame des terres agricoles dans le secteur qui deviendra Pointe-Saint-Charles. Le seul vestige de cette époque est aujourd’hui la Maison Saint-Gabriel, devenue un musée. Car, avec la construction du canal de Lachine (inauguré en 1825) et du pont Victoria (terminé en 1859), le quartier perdit rapidement son ancienne vocation et devint une banlieue industrielle. La population atteignit 10 000 habitants dès 1881. Il fallait s’occuper de loger ceux et celles qui partaient chaque matin, à pied, travailler dans les manufactures et les usines de Pointe-Saint-Charles. Dans les années 1850, la Compagnie de chemin de fer du Grand Tronc du Canada a notamment construit sur la rue de Sébastapol une rangée de logements ouvriers à deux étages sur le modèle de ce qui existait déjà au Royaume-Uni. Le «duplex», tel que nous le connaissons, était né!
  • En 1861, le plus grand employeur de Montréal, le Grand Tronc, avait une usine de réparation et une gare de triage à Pointe-Saint-Charles. Parmi les autres grandes usines, mentionnons celle de la Northern Electric, située sur la rue Shearer, qui demeure, encore aujourd’hui, la plus grande structure de briques du Canada. Il y avait aussi celle de la sucrerie Redpath, la plus grande usine de Montréal lors de sa construction en 1854, et celle de la Belding-Corticelli Limitée, qui à son apogée employait plus de 700 employés, principalement des femmes. Jean Boyer, fils d’un ouvrier de la Dominion Glass et maintenant prêtre à l’église Saint-Charles, confie: «Quand on partait pour l’école, le matin, […] on rencontrait tous nos pères sur la rue, là. Ça nous permettait de demander des sous pour acheter des May West!»
  • Il y avait également, sur la rue Bridge, un immense abattoir dans lequel s’engouffraient chaque semaine des milliers de bêtes, dont certaines s’échappaient parfois pour prendre la clé non pas des champs, mais… des rues! Ayant grandi à côté de la voie ferrée, un ancien résident, Richard Stillwell, se souvient encore des cris qui provenaient des voitures de bétail.
  • Pointe-Saint-Charles est divisé en deux par un remblai ferroviaire. À l’époque, et encore jusqu’à un certain point aujourd’hui, cette ligne de démarcation séparait la moitié nord francophone de la moitié sud anglophone. Les plus vieux résidents se rappellent les bagarres épiques entre enfants canadiens-français et enfants irlandais, ainsi que des railleries qu’ils s’attiraient lorsqu’ils s’aventuraient dans la mauvaise moitié de Pointe-Saint-Charles. Mais la frontière restait poreuse. Le bain de Hogan n’était-il pas situé dans la partie sud et l’église catholique anglaise de St-Gabriel, dans la partie nord?
  • Le nom du parc Marguerite-Bourgeoys, connu des Anglophones comme «Maggie Bougie Park», a été le théâtre de plusieurs luttes politiques. Lorsque la Congrégation de Notre-Dame a vendu le lot à la ville pour en faire un parc, en 1910, on choisit de le nommer Monahan Park, en mémoire de l’importante population irlandaise établie dans le quartier. En 1917, le nom du parc fut changé en celui de Marguerite Bourgeoys. En 1948, une autre controverse a éclaté quand un monument à Marguerite Bourgeoy fut remplacé par un monument élevé en l’honneur des vétérans de guerre. La Société Saint-Jean-Baptiste qualifia cette décision de «vandalisme historique»!
  • Pour être dure, la vie à la «Pointe» réservait de petits plaisirs. Par exemple, des résidents évoquent le «tour de pont». Ce jeu consistait à attendre que l’un des ponts basculants du canal de Lachine se mette à pivoter pour laisser un bateau passer et à sauter sur le pont au tout dernier moment. Dans un entretien réalisé pour Parcs Canada, Thérèse Boudreau-Dionne raconte: «On disait: ‘‘On s’en va faire un tour de pont!’’ Là, on marchait jusqu’au pont Charlevoix, pis comme on connaissait le monsieur qui dirigeait la tournure du pont, il nous laissait embarquer. Fallait s’rendre dans l’centre pour être sûr. Pis là, ça tournait. C’était le thrill de la journée d’aller faire un tour de pont, à l’époque.»
  • Dans les années 1950, la fête de la Reine était particulièrement animée. On allumait de grands feux de joie dans des endroits désignés. Certains résidents vidaient les ruelles et les terrains vacants de tout ce qui était susceptible de servir de combustible, comme le bois, les matelas et même de vieux sapins de Noël! Lorraine O’Donnell se souvient que la ville nettoyait les rues en prévision de la fête de la Reine «parce que les gens brûlaient tout. Ils pouvaient arracher votre clôture en bois!»

Aujourd’hui

  • Aujourd’hui, pratiquement toutes les usines situées sur le bord du canal de Lachine ont fermé leurs portes: Northern Electric (1974), sucrerie Redpath (1976), Belding- Corticelli Limitée (1982), Sherwin-Williams (1984), Stelco et Canadien National (CN) (2003). Seul Dominion Glass, l’un des deux derniers verriers du Canada, continue ses opérations. Jusqu’à récemment, l’usine abritait la plus petite caisse d’économie du Québec.
  • Comme l’arrondissement Verdun était officiellement «sec», cela obligeait ses résidents à s’abreuver à Pointe-Saint-Charles. Ouverte en 1932 et interdite aux femmes jusqu’en 1988, la Taverne Magnan était un restaurant célèbre au moment de sa fermeture, en 2014. On y aurait mangé le meilleur rôti de bœuf de tout Montréal!
  • De nombreux résidents sont fiers que leur quartier ait été le berceau de nombreux mouvements communautaires. Au fil des ans, les militants ont réussi à stopper le développement de plusieurs projets indésirables, dont la construction d’un grand boulevard qui aurait forcé le déplacement de centaines de résidents et celle d’un casino. Parmi les organismes communautaires installés à Pointe-Saint-Charles, on peut mentionner la Maison Saint Columba (1917), le Carrefour d’éducation populaire (1968) et Partageons l’espoir (1989). Première clinique communautaire établie dans un quartier populaire au Québec, la Clinique Communautaire (1968) a servi de modèle aux CLSC du Québec, tout en réussissant le tour de force de conserver son autonomie.
  • La désindustrialisation du Sud-Ouest de Montréal et la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent ont conduit à la fermeture du canal de Lachine, en 1970. À l’époque, on se demandait ce qu’on devait faire de cette zone abandonnée. Certains suggérèrent de remplir le canal et d’y aménager une autoroute! Après des années de débats, le gouvernement fédéral choisit plutôt d’investir 5,2 millions de dollars pour transformer le canal en une zone récréative administrée par Parcs Canada. On y installa des sentiers cyclables et pédestres. Le canal fut même rouvert aux embarcations de plaisance en 2002.
  • Mais le quartier s’embourgeoise, comme d’autres anciens quartiers ouvriers. Le prix moyen des logements a bondi de 90 000$ en 2001 à 220 000$ en 2009. Le loyer mensuel moyen a grimpé, quant à lui, de 440$ en 2001 à 750$ en 2012. De vieux terrains industriels et les bâtiments ont été transformés en condos haut de gamme. Entre-temps, le pourcentage des logements sociaux est passé de 40% (1996) à 34% (2010).
  • Des résidents résistent à un embourgeoisement débridé. Les efforts visant à transformer les anciens bâtiments industriels en centre communautaire ont commencé par le squat d’une usine abandonnée située en face du marché Atwater, où se trouvent maintenant le Parc Madeleine-Parent et un grand complexe de condominiums. Lorsque cet effort a échoué, les groupes communautaires ont porté leur attention sur les ateliers fermés du CN. La proposition ayant fini par prévaloir divise le site en trois parties: la première partie sert de lieu réparation pour les trains régionaux; l’autre partie devient un parc industriel; la troisième partie est consacrée à l’érection de condominiums et de logements sociaux. Le Collectif «7 à nous» a été créé pour que le «Bâtiment 7», une fois décontaminé et sécurisé, soit transformé en centre communautaire : les efforts se poursuivent afin de s’assurer que le projet se concrétise.

Si vous souhaitez en savoir plus sur l’histoire du quartier, vous êtes invités à télécharger des audiobalades en mémoire du canal de Lachine et de Pointe-Saint-Charles. Développées par le Centre d’histoire orale de l’Université Concordia, ces promenades vous permettent d’explorer l’histoire des lieux à travers les récits des résidents. www.montrealpostindustriel.ca.

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