École en ligne: des inégalités à prévoir, selon l’ex-présidente de la CSDM
La fin de l’année scolaire se fera en ligne à Montréal: une situation loin d’être idéale pour les élèves, plaident des enseignants de la métropole. L’ex-présidente de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) craint pour sa part un déséquilibre dans «l’égalité des chances» accordée aux élèves.
L’année scolaire n’a pas pris fin malgré le report de la rentrée scolaire au mois de septembre. Les cinq prochaines semaines serviront aux élèves de poursuivre leur apprentissage à distance, convenait jeudi le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Jean-François Roberge.
En entrevue à Radio-Canada jeudi, celui-ci invitait tous les élèves à «se mettre en mode apprentissage» à l’approche des vacances.
Mais selon l’ex-présidente de la CSDM, Catherine Harel-Bourdon, ce n’est pas vrai que tous les élèves ont les moyens pour bel et bien poursuivre leurs cours en ligne.
«Il y a des enseignants qui font des rencontres virtuelles avec leurs élèves. Mais pour ça, il faut avoir accès à Internet, à un ordinateur, à une tablette. Avec 40% d’élèves qui vivent sous le seuil de pauvreté à Montréal, ce n’est pas vrai qu’ils y ont tous accès», indique-t-elle.
« Pas d’exception »
Selon le ministre Roberge, Il n’y aura pas « d’exception tolérable ». L’ensemble des élèves de la métropole devront recevoir des suivis, des appels et des plans de travail.
Comment cela va s’orchestrer ? Qui sera responsable de vérifier que tout cela se fait de manière égale pour tous?
Contacté par courriel, le MEES n’a pas été en mesure de répondre immédiatement à ces questions.
À la Commission scolaire de Montréal, la plus importante en nombre d’élèves au Québec, on demande de s’adresser au ministère de l’Éducation.
La Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île indique attendre de recevoir des directives du ministère concernant l’école à distance avant de pouvoir commenter.
Pour plusieurs enseignantes, qui ont préféré garder l’anonymat, car elles ne sont pas autorisées à s’exprimer sur le sujet, un certain flou persiste par rapport à la façon dont devrait s’articuler l’école virtuelle.
«[Les consignes], c’était seulement d’envoyer la trousse pédagogique, de la modifier au besoin, et d’appeler les élèves en difficulté. Mais comme prof, on en fait toujours plus que demandé», dévoile Annie*, une enseignante à la CSDM.
«On nous a simplement dit: “faites un suivi auprès des familles”», révèle Christine*, une seconde enseignante, basée à Montréal-Nord.
Également présidente du Mouvement pour une école moderne et ouverte (MEMO), Catherine Harel-Bourdon appréhende de «grosses problématiques d’inégalités des chances».
«Ça fait plusieurs semaines que je fais l’école à ma plus jeune. Je sais par les appels que j’ai reçus de sa professeure que ce ne sont pas tous les élèves qui ont accès à ce que ma fille a», indique-t-elle.
Accès aux technologies
À l’école où enseigne Christine, une cinquantaine de familles ne disposent d’aucun accès à des technologies.
Elle-même a choisi de maintenir le contact avec les parents et leur enfant à travers une plateforme Web. «Pour ceux qui n’y sont pas, j’ai tenté de les joindre par courriel et appels téléphoniques. Il y en a certains pour lesquels je n’ai pas eu de nouvelles jusqu’à présent.»
Un constat que partage également Sophie* une troisième enseignante, qui a une classe de quatrième année à la CSDM. Elle organise des rencontres périodiquement avec ses élèves à travers Microsoft Teams.
«Il y en a pour lesquels, malgré plusieurs tentatives, on ne sait pas du tout ce qui se passe avec eux. Certains sont laissés de côté parce qu’ils n’ont pas de matériel informatique.»
Des tablettes pour tous ?
Le gouvernement promettait à la fin du mois d’avril qu’il distribuerait 15 000 tablettes aux enfants du Québec afin de ne pas laisser d’élève en arrière. Une promesse insuffisante, lance sans détour Mme Harel-Bourdon.
«Je m’excuse, mais c’est très peu, 15 000 tablettes. Ça en prend à peu près 15 000 juste pour la CSDM», ajoute-t-elle.
Le ministre Roberge maintient qu’il y aura des ressources technologiques pour tous. «Ne vous gênez pas, contactez votre enseignant, votre direction d’école. On vous prêtera un outil technologique», a-t-il assuré, toujours sur les ondes de Radio-Canada.
Annie n’est d’ailleurs pas optimiste de voir les fameuses tablettes. «Ils ont de la difficulté à nous acheter une ampoule pour le projecteur, ou de nous trouver deux ordinateurs pour l’école, s’exclame-t-elle.
«J’ai l’impression que les écoles publiques ont été laissées à elles-mêmes. On va se retrouver avec un écart encore plus grand entre les enfants de différents milieux», affirme Christine.
Au moment d’écrire ces lignes, le cabinet du ministre Roberge n’avait pas indiqué à Métro Média comment s’articulerait la distribution des tablettes.
Au Syndicat de l’enseignement de la Pointe-de-l’Île (SEPI), on déplore d’ailleurs un manque de collaboration du gouvernement.
« Il faudrait que le ministre Roberge apprenne à communiquer avec ces gens, et qu’on ait les informations un peu avant qu’elles soient annoncées pour qu’on puisse bien fonctionner», s’exclame Serafino Fabrizi, président du syndicat.
*Noms fictifs