Électrification des taxis: «On recule», constate une entreprise
Alors que la pandémie a précarisé la situation financière des chauffeurs de taxi de la province, plusieurs d’entre eux n’ont pas les moyens de se procurer un véhicule électrique pour remplacer leur vieille voiture. Une situation qui inquiète une entreprise du secteur, qui appréhende un «recul» dans l’électrification de cette industrie.
En 2019, l’entreprise québécoise E-Taxi a accueilli une première cargaison de 25 véhicules électriques du constructeur chinois BYD. L’entreprise souhaitait alors en importer 2000 supplémentaires au cours des deux années suivantes. La pandémie l’a toutefois empêché jusqu’à maintenant de grossir sa flotte de véhicules électriques, qui roulent essentiellement à Montréal et sur la Rive-Sud.
Pendant ce temps, les chauffeurs de taxi écopent durement de la pandémie, qui a fait chuter leurs revenus en plus d’augmenter leurs dépenses reliées notamment à la désinfection de leurs véhicules et à l’installation de vitres protectrices à l’intérieur de ceux-ci. Ainsi, lorsque vient le moment de remplacer leur véhicule désuet, plusieurs chauffeurs ne disposent pas de la capacité financière de se procurer une voiture électrique, constate le cofondateur de l’entreprise E-Taxi, Yung Cuong, en entrevue à Métro. Ces chauffeurs se tournent alors vers des véhicules usagers à essence.
«On avançait tranquillement avant la pandémie [dans l’électrification des taxis], mais maintenant, on recule dix pas en-arrière. Il faut qu’on soit proactifs, sinon, on va retourner à zéro», lance M. Cuong, dont l’entreprise avait déposé une offre pour acheter Taxelco, qui est finalement tombée dans les mains de l’homme d’affaires Pierre Karl Péladeau, en 2019.
Le gouvernement du Québec s’est donné comme objectif d’avoir 1,5 million de véhicules électriques sur les routes de la province d’ici 2030 afin de lutter contre les changements climatiques. On en rapportait environ 92 000 à la fin de l’année 2020.
Un soutien financier réclamé
La société par actions Placements Saint-Jérôme, que chapeaute M. Péladeau, a d’ailleurs inscrit plusieurs mandats au registre des lobbyistes depuis qu’elle a racheté Taxelco, qui possède notamment Téo Taxi. Ces démarches visent notamment à réclamer auprès de Québec de «nouvelles mesures incitatives à l’électrification de véhicules» destinés à devenir des taxis, comme des «subventions» additionnelles pour l’acquisition de ce type de véhicule.
Actuellement, Québec offre un incitatif à l’achat d’un véhicule électrique neuf pouvant atteindre 8000$, auquel s’ajoute une aide spéciale pour la modernisation d’un taxi qui s’élève elle aussi à 8000$. C’est donc dire qu’un chauffeur de taxi peut obtenir un rabais de 16 000$ s’il s’achète une voiture électrique à des fins commerciales.
Ce ne sont pas tous les acteurs de l’industrie du taxi qui ont accès à cette aide financière additionnelle, confirme à Métro le cabinet du ministre des Transports, François Bonnardel.
«Placements Saint-Jérôme a fait des représentations afin de bénéficier du Programme de soutien à la modernisation de l’industrie du transport par taxi auquel il n’avait pas accès, comme c’est le cas pour d’autres acteurs de l’industrie. Leurs demandes sont actuellement en analyse», indique sa porte-parole, Florence Plourde. Le programme en question est d’ailleurs en cours de «révision», indique-t-elle.
Au moment d’écrire ces lignes, Placements Saint-Jérôme n’avait pas commenté.
«S’il n’y a pas de financement, il n’y a pas d’acquisition [de véhicules électriques] par les chauffeurs. On tourne en rond.» -Yung Cuong, cofondateur de l’entreprise E-Taxi
Des prêts demandés
Yung Cuong constate pour sa part que plusieurs chauffeurs de taxi peinent à convaincre des banques de leur prêter la somme nécessaire pour se procurer un véhicule électrique qui répond à leurs besoins. Le modèle e6 de BYD, qui a une autonomie de 400 kilomètres par charge, coûte environ 60 000$. Ainsi, malgré l’incitatif financier de Québec à l’achat d’un tel véhicule, plusieurs chauffeurs de taxi n’ont pas les moyens de payer le reste de la facture, constate-t-il.
«Les revenus sont bas et les cotes de crédits sont très basses [pour les chauffeurs]», évoque M. Cuong. Il devient alors difficile pour ceux-ci d’emprunter de gros montants auprès d’une institution financière.
«Vous avez un programme [d’aide à l’achat d’un véhicule électrique], mais personne ne va le chercher. C’est le reste du montant qui manque», renchérit-il
Le cofondateur d’E-Taxi demande donc à Québec, non pas d’offrir des subventions additionnelles, mais plutôt des prêts aux chauffeurs qui désirent se procurer un véhicule électrique, mais qui ne réussissent pas à convaincre leur banque de les soutenir dans cette démarche.
M. Cuong croit presse par ailleurs la Ville de Montréal de montrer l’exemple en électrifiant sa flotte de véhicules. Une mesure qui devrait aussi s’appliquer aux chauffeurs de taxi qui offrent des services de transport adapté pour la Société de transport de Montréal, croit-il.