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Hochelaga uni contre une éviction

Éviction Airbnb
Cette affiche était fièrement apposée sur la façade de l'immeuble que louent Joseph et Jean-François. À la suite d'un appel des propriétaires, les deux locataires se sont vus obligés de la retirer. «C'est pas grave, rigole le second. S'ils ne veulent pas qu'on mette d'affiche en dehors de l'immeuble, on va en mettre dans les fenêtres.» Photo: Zoé Arcand, Journal Métro

Joseph et Jean-François habitent dans le même immeuble à logements, au 3541, rue Ontario Est. Joseph à l’étage le plus élevé et Jean-François juste en dessous. À la fin de 2022, les deux hommes ont reçu un avis d’éviction. Les deux nouveaux propriétaires de la bâtisse, enregistrés sous une compagnie à numéro, souhaiteraient convertir les logements pour y faire de la location de courte durée Airbnb. Le 14 février, le Comité BAILS s’est joint aux locataires pour dénoncer la situation.

«Les propriétaires s’attendaient sûrement à ce qu’on parte d’ici sans rien dire, lance d’entrée de jeu Jean-François, en entrevue avec Métro. Ça n’arrivera pas!»

Ce mélomane a élevé trois enfants dans son appartement situé en plein cœur d’Hochelaga, dans lequel il habite depuis 22 ans. Aujourd’hui, ses enfants ont grandi et ont quitté le nid familial, mais lui y habite toujours avec sa conjointe, leur chien et leur chat. Ensemble, ils reçoivent les petits-enfants la fin de semaine.

Son voisin Joseph, plus timide, habite dans son appartement depuis le début de son adolescence, il y a 54 ans.

Le type d’évincement visé par les propriétaires est totalement légal et permis par le Code civil, à condition d’avoir une autorisation de l’Arrondissement.

Un quartier tissé serré

Métro a rencontré les deux locataires sexagénaires à l’adresse d’à côté, la Tisanerie Mandala, tenue par deux colocataires, Natalie et Karina. Elles sont elles aussi de fières habitantes du quartier… et vivent des enjeux semblables en matière de logement.

L’heure passée dans le commerce témoigne d’un Hochelaga tissé serré, un village dans une ville. Selon ses résidents, c’est ce qui fait le charme du quartier, son ADN. «C’est ça Hochelag’; tout le monde se connaît, tout le monde s’entraide, tout le monde se parle», explique Karina, passionnée de son quartier.

À l’intérieur de la tisanerie, Karina discute avec Annie Lapalme pendant que Natalie s’occupe du commerce Photo: Zoé Arcand, Métro

La petite tisanerie est devenue le quartier général de la mobilisation en soutien aux deux hommes. C’est ici que se tiennent les entrevues données aux médias, et les propriétaires ont offert des tisanes aux quelques militants et militantes qui se sont réunis le matin de la Saint-Valentin devant le 3541 pour témoigner de leur soutien.

Lors de la rencontre avec Métro, les locataires sont accompagnés de l’organisatrice communautaire Annie Lapalme, qui travaille pour Entraide Logement – Comité BAILS. Son travail consiste à aider les citoyens à s’organiser entre eux. L’organisme communautaire s’est fait évincer de ses locaux en 2022, et est lui aussi à nouveau menacé d’éviction. «C’est une vraie farce», dit Annie, qui a grandi dans le quartier.

«Toutes les personnes et les familles qui habitaient dans le bloc où j’ai grandi se sont fait évincer», ajoute-t-elle, illustrant l’aspect endémique des évictions dans Hochelaga.

L’octroi de permis, «un acte de fonctionnaire»

Le but de la mobilisation est de convaincre l’Arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve de ne pas octroyer de permis pour la conversion de l’immeuble en Airbnb. Or, le maire d’arrondissement, Pierre Lessard-Blais, qui a rencontré les militants le 15 février, assure qu’il ne peut refuser arbitrairement l’octroi d’un permis.

«Tout indique que le permis va être octroyé puisque c’est légal», indique à Métro l’attaché politique du maire, Victor Wong Seen-Bage.

L’octroi de permis est «un acte de fonctionnaire», explique-t-il. Ceux-ci ne font que suivre la loi québécoise. Selon ses dires, Projet Montréal, le parti de M. Lessard-Blais, a réduit de 95% les zones où les permis d’hébergement touristique étaient permis dans l’arrondissement. Auparavant, la moitié du territoire pouvait accueillir des Airbnb.

Pour éviter le type d’éviction dont sont victimes Joseph et Jean-François, il faudrait modifier l’article 1959 du Code civil québécois, qui stipule que «le locateur d’un logement peut en évincer le locataire pour subdiviser le logement, l’agrandir substantiellement ou en changer l’affectation», croit Victor Wong Seen-Bage. L’attaché politique explique que, sans pour autant interdire le changement d’affectation d’un logement, l’article pourrait stipuler qu’un tel changement ne soit plus un motif légal d’éviction.

Pourtant, «l’Arrondissement ne fait pas respecter son règlement de zonage et les logements utilisés pour des fins de Airbnb pullulent hors zonage dans le quartier et en toute impunité», soutient Entraide Logement – Comité BAILS dans un communiqué.

En réponse à cette accusation, le maire d’arrondissement explique que les fonctionnaires donnent les permis de changement de location pour les immeubles, mais que c’est le gouvernement provincial qui donne les permis d’hébergement touristique.

Ce sont 794 Airbnb qui sont installés sur le territoire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, affirme le maire d’arrondissement. Le souci, c’est que la loi – toujours provinciale – ne restreint que les logements servant d’hébergement touristique plus de 30 jours par année… Mais c’est Québec qui a le pouvoir d’effectuer les vérifications. Le maire soutient faire le maximum de ce qui est permis par la loi.

Je comprends que c’est bon pour le tourisme, mais à ce que je sache, des hôtels, ça existe encore.

Jean-François, locataire du 3541, rue Ontario Est, menacé d’éviction

Bien que le but de Jean-François et de Joseph soit de conserver leur logement, ils se battent ultimement pour changer la loi, assure le premier. «Ce n’est pas seulement pour nous qu’on fait ça, mais aussi pour toutes les autres personnes plus vulnérables qui ont plus de difficulté à se défendre», dit-il. Il juge que, du côté du maire, ce sont souvent de belles paroles, mais peu d’action pour aider les gens dans sa position.

«À la rigueur, on va militer pour que Airbnb soit interdit partout», renchérit Annie Lapalme.

On va au moins essayer de réveiller le gouvernement. Il y a des affaires qui se font qui ne sont vraiment pas correctes. Ce monde-là est en train de détruire les villes.

Jean-François, locataire du 3541, rue Ontario Est, menacé d’éviction
Jean-François, posant fièrement devant son affiche Photo: Zoé Arcand, Métro

Des échos à l’Assemblée nationale

Ce «cas très lourd» a même trouvé un écho à l’Assemblée nationale. Le 14 février, Manon Massé en a fait mention lors de la période de questions. Deux jours plus tard, le délégué au logement de Québec solidaire, Andrés Fontecilla, déposait une motion visant à faire éliminer la clause F permettant les hausses de loyer dans les nouveaux logements construits depuis moins de cinq ans.

Lors du dépôt de cette motion, le député d’Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc, a mentionné différents «cas réels» observés dans le quartier, dont celui de Joseph et Jean-François, dans le but de sensibiliser les députés à la cause. La motion a été battue par la Coalition avenir Québec (CAQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ).

«Ça fait plusieurs années qu’on se bat pour le droit au logement, rappelle le député d’Hochelaga. Ce ne sont pas les fronts qui manquent, mais le gouvernement n’est pas sensible à cette réalité.» Il assure que son parti réserve une grande partie de son budget de soutien à l’action bénévole pour soutenir les organismes communautaires du quartier dans la lutte contre Airbnb et aider les locataires à payer les frais de contestation d’éviction.

On approche d’un projet bien ficelé dans le quartier.

Alexandre Leduc, député d’Hochelaga-Maisonneuve

Les techniques «malhonnêtes» contre l’entraide et la solidarité

Les comités d’aide au logement et aux locataires, ainsi que les militants pour l’accès au logement, qualifient souvent certaines tactiques employées par les propriétaires pour évincer leurs locataires de «malhonnêtes».

«Ces techniques sont variables», éclaircit Annie Lapalme. Les propriétaires tenteraient souvent de convaincre les locataires de quitter leur appartement pour une certaine somme d’argent.

«Ceux qui résistent le plus sont plus privilégiés et se font offrir une plus grosse somme d’argent, alors que les plus timides ne vont pas négocier», souligne Mme Lapalme. La solidarité et l’entraide sont donc primordiales pour résister à ces évictions. D’ailleurs, des citoyens de Notre-Dame-de-Grâce vivant une situation similaire ont contacté Jean-François et Joseph afin qu’ils puissent travailler ensemble.

Selon Annie Lapalme, certains propriétaires vont également affirmer avoir des liens politiques avec le Tribunal administratif du logement (l’ancienne Régie du logement). «Ils disent aux locataires qu’ils ne peuvent rien faire contre eux.» Elle a également vu beaucoup de propriétaires affirmer être des avocats alors qu’ils ne l’étaient pas, «pour faire peur aux locataires et les intimider».

L’un des propriétaires du 3541, rue Ontario Est a refusé de donner son adresse, indiquant qu’elle se trouvait dans le registre des entreprises. L’autre a accepté de la donner, au prix de «beaucoup de détermination», dit Jean-François. Au Tribunal administratif du logement, quand on refuse une demande d’éviction et que les propriétaires agissent sous une compagnie à numéro – comme c’est le cas ici –, il faut avoir l’adresse de chaque membre de la compagnie.

Plusieurs documents «pleins d’erreurs ont été envoyés» aux locataires pour tenter de les convaincre de quitter rapidement leur appartement. Le plus timide et plus anxieux des deux, Joseph, serait le plus ciblé.

«La tragédie, selon le député d’Hochelaga-Maisonneuve, c’est que souvent, les gens ne connaissent pas leurs droits ou ne savent même pas qu’il y a des organismes communautaires qui peuvent les aider.»

Selon Jean-François, les investisseurs immobiliers, les propriétaires et les «gentrificateurs» n’avaient pas rencontré beaucoup de résistance dans le quartier encore. «Mais là, ils vont en avoir!»

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