S’appuyer

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne 435, direction sud. Nous sommes lundi, il est 8 h 25.

Je suis montée à bord il y a quelques arrêts déjà. J’observe le chaos du matin qui suit son cours habituel. Comme quoi, même le désordre peut obéir à l’ordre normal des choses.

L’autobus est déjà rempli à pleine capacité. Le chauffeur laisse tout de même monter un duo qui se faufile péniblement dans cette espèce de forêt humaine formée par tous ces corps, plantés debout et bien droits.

Le tandem qui vient d’entrer est en fait un couple. Lui serait un chêne solide. Elle, plutôt un bouleau délicat. Il la dépasse d’une bonne tête. La femme du couple, qui a la trentaine bien libre, essaie de trouver une sangle ou un poteau auquel se tenir.

Mais tous sont pris. Son homme, lui, a trouvé un bout de pôle et l’invite à s’appuyer contre lui. Elle recule d’un pas fier, refuse, gentiment mais catégoriquement, lui disant qu’il n’est pas un poteau.

Il lui sourit alors qu’elle vacille en raison du mouvement du bus qui vient de repartir. Elle évite de justesse de tomber sur les genoux d’une petite fille. Elle se ressaisit avec orgueil et fierté, en retrouvant un équilibre précaire.

Je regarde les membres de ce couple qui, comme des danseurs têtus, refuseraient chacun que l’autre mène la danse.

Dans le bus, ce matin-là, la bienveillance de l’amoureux semble se heurter aux convictions de sa conjointe. Elle est solide, autonome, elle aime son homme, mais peut très bien se tenir debout sans lui. C’est ce qu’elle pense jusqu’à ce qu’un spectaculaire nid-de-poule la fasse furieusement rebondir. Ses réflexes la sauvent d’une chute certaine. Sa réaction spontanée a simplement été de s’appuyer au bras de son amoureux. Lui, bon prince, ne dit rien. Il se contente de serrer sa main dans la sienne en lui demandant la permission de se tenir à elle.