Le passé esclavagiste de Montréal
Comme plusieurs villes, Montréal a un passé esclavagiste. À l’époque coloniale, des Noirs, mais aussi des Amérindiens, ont été la propriété de Montréalais bien nantis, tels que l’homme d’affaires James McGill et le notaire Louis Chaboillez.
Leur nombre plutôt restreint – quelques centaines – explique pourquoi leur histoire est peu connue, d’après l’historien Frank Mackey. «Il n’y a aucun vestige physique de l’esclavage [à Montréal], a-t-il mentionné. On ne peut pas aller à un endroit et dire que c’étaient les cabanes où vivaient des esclaves, où on a trouvé des instruments de torture.»
À la veille du Mois de l’histoire des Noirs, Métro revient sur cette tranche d’histoire avec M. Mackey, auteur de livre L’Esclavage et les Noirs à Montréal 1760-1840.
Contrairement à d’autres endroits, il n’y a jamais eu de loi qui autorisait l’esclavage dans la «Province of Quebec», après la conquête britannique. Comment s’est alors répandue cette pratique esclavagiste?
À la bonne franquette. En 1628, le premier esclave noir, qui apparaît ici, est Olivier Le Jeune. C’est un commandant britannique qui a vendu l’esclave de Madagascar à quelqu’un de Québec. Plus tard, il y a des Amérindiens qui ont fait des cadeaux d’esclaves à des Blancs. Ça s’installe comme cela. Pas par une loi, mais par l’usage.
Est-ce que des voix se sont élevées pour demander une loi en faveur de l’esclavage?
À un certain moment, dans la colonie de la Nouvelle-France, on a voulu faire venir des Noirs, à cause du manque de main-d’œuvre et de sa cherté. On a demandé au roi la permission de faire venir des Noirs. Il a dit oui, mais il a dit que le climat les empêcherait de survivre. Il recommandait de ne pas mettre trop d’argent dans l’esclavage.
Il y a des gens qui disaient que l’édit de l’intendant de la colonie, [Jacques] Raudot, en 1709, légalisait l’esclavage parce qu’il indiquait que ceux qui détenaient des esclaves noirs ou des Panis [des Amérindiens], les détenaient de plein droit. Plus tard, sous le régime britannique, des gens affirmaient que cet édit n’était pas suffisant pour reconnaître l’esclavage. Ils disaient que l’intendant d’une colonie n’avait pas le pouvoir d’introduire l’esclavage. Il fallait que cela vienne du roi. Or, il n’y a eu aucune loi.
Quel est le coup de grâce qui a mis fin à l’esclavage?
En 1803, – j’ai découvert cela après la publication de mon livre –, il y a eu une loi qui reconnaissait que l’esclavage n’existait pas. Avant, les projets de loi étaient tous en faveur de l’abolition graduelle de l’esclavage. Entre-temps, les décisions des tribunaux stipulaient qu’il n’y avait aucune loi qui reconnaissait l’esclavage. En 1803, on a réalisé que s’il n’y avait aucune loi qui reconnaissait l’esclavage, on ne pouvait pas l’abolir parce que l’esclavage n’existait pas, selon la loi. Ce qu’on a fait par cette loi, c’était de donner la permission aux étrangers qui passaient par le Québec d’amener leurs esclaves et de ne pas être interpellés [par les autorités]. On leur accordait un permis de séjour.
Plusieurs esclaves montréalais ont réussi à mener une bonne vie après leur affranchissement, comme notamment John Trim. Était-ce le cas pour plusieurs?
Dans bien des cas, non. Il y en a peut-être une douzaine qui ont réussi. Pour bien d’autres, c’était plus difficile.
Beaucoup d’esclaves sont devenus au fil du temps des domestiques et, leurs propriétaires, leur patron…
Oui, il y en beaucoup. C’est pour cela que ce n’est presque pas perceptible quand l’esclavage est aboli à Montréal. Il y en a qui restent en place. Leur statut change. Pour le public, ce n’est pas perceptible. [L’écrivain] Philippe Aubert de Gaspé possédait l’esclave Lisette, qui avait été l’esclave de son grand-père et de son père. Il en a eu assez de Lisette, il l’a renvoyée, mais elle ne voulait pas s’en aller. Elle disait qu’elle avait autant le droit de vivre ici que n’importe qui de la famille. Elle ne voulait pas quitter. C’était la situation après l’abolition de l’esclavage: ce n’est plus les esclaves qui avaient l’obligation de servir leur maître, c’étaient les maîtres qui avaient l’obligation de subvenir aux besoins de leurs serviteurs.
Y avait-il beaucoup de racisme à l’époque?
On jugeait les Noirs comme étant inférieurs. C’était un peu la conscience européenne. Quand on regarde dans la littérature en Europe, que ce soit des Chinois ou n’importe qui, c’étaient tous des gens de culture inférieure. Les Blancs représentaient le sommet de la civilisation. Les Amérindiens et les Noirs pouvaient être réduits à l’esclavage. Les Blancs, non.
La plupart des Noirs ne savaient pas lire, ni écrire. Le problème, c’est que les Blancs gardaient ces esclaves dans l’ignorance. Ensuite, ils les pointaient du doigt en disant qu’ils étaient ignorants. Ils disaient qu’ils avaient besoins d’être esclaves et d’être protégés, sinon ils ne s’en tireraient pas d’eux-mêmes.
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L’abolition de l’esclavage en 1803?
D’après les écrits de plusieurs historiens, l’esclavage a pris fin en 1803 dans le Bas-Canada grâce à la décision du juge en chef William Osgood. Ce dernier aurait statué que l’esclavage était incompatible avec le droit britannique, ce qui aurait entraîné la libération de 300 esclaves. «Si les ouvrages traitent de la décision d’Osgood comme étant capitale, aucun ne va jusqu’à mentionner la nature de la cause qui était devant lui, les noms des parties ou la date précise de sa décision», a écrit l’historien Frank Mackey. C’est que le juge Osgood a quitté le pays en 1801 et qu’il a démissionné de ses fonctions en 1802. Ce jugement n’a jamais existé. Cela démontre «la médiocrité de nos connaissances sur la fin de l’esclavage», indique M. Mackey.
Libre, il achète sa femme
En 1787, Hilaire Lamour est devenu libre. Son propriétaire l’a affranchi après 25 années de loyaux services. Sa femme Catherine n’a toutefois pas eu le même traitement. Deux semaines après sa libération, M. Lamour a acheté sa femme au coût de 100£, une fortune pour l’époque. «À cause de la loi de l’époque, l’achat de sa femme ne la rend pas libre, explique Frank Mackey. Elle est son esclave. Si Hilaire Lamour ne paye pas ses dettes qu’il a contractées pour acheter sa femme, on peut saisir ses biens. Et il n’a pas d’autres biens que sa femme.» M. Lamour s’est donc rendu chez le notaire pour rendre sa liberté à sa femme.
La dernière cause
En 1800, un tribunal du Québec a rendu une dernière décision à la suite de la désertion d’un esclave. Un an plus tôt, Robin avait fuit son propriétaire, le loyaliste James Frazer, après que plusieurs esclaves aient retrouvé leur liberté grâce à des jugements en leur faveur. M. Frazer a retrouvé Robin quelques mois plus tard dans une taverne de la place d’Armes. Il a alors décidé de saisir les tribunaux pour ravoir son esclave. Robin a été emprisonné pour désertion. Un mois plus tard, il a été libéré. La cour en a décidé ainsi puisqu’il «n’existait aucun esclavage au Canada». Les propriétaires d’esclaves se sont vivement opposés à cette décision. Des projets de loi sur l’esclavage ont été étudiés à l’Assemblée législative du Bas-Canada, mais aucun n’a été adopté.
L’esclavage et les Noirs à Montréal 1760-1840
Frank McKey
Éd. Hurtubise