Grandir
Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Ligne 51, direction Est. Nous sommes samedi. Il est 15 h 35. C’est un roc! C’est un pic! C’est un cap!… Je ne me souviens plus bien de la suite.
S’il était parmi nous, Patrice Robitaille, qui a récemment incarné Cyrano avec brio, pourrait nous souffler la suite en cet après-midi d’automne et dans ce bus bondé.
Pourquoi évoquer cette tirade? Parce que cette chronique parlera, entre autres, de nez. D’un très grand nez planté au milieu du visage d’un bel homme, assez âgé. Ce monsieur se tient droit, comme un pic justement, aux côtés de sa femme qui, elle, a de démesuré un chapeau très haut et très rouge. Ce duo improbable attire notamment l’attention d’un petit garçon. Il doit avoir quatre ans et pointe son petit doigt vers le couple. Il ne filtre point ses propos, pas plus qu’il ne met de sourdine à sa voix qui porte.
Fasciné, il s’adresse à sa mère, qui sera très gênée dans exactement deux secondes: «Tu as vu le grand nez du monsieur et le trop grand chapeau de la madame!?!?!?»
La maman, désemparée, regarde timidement les propriétaires du pif et du couvre-chef, et sermonne sa progéniture. Elle lui rappelle les règles de bienséance, dictant qu’on ne pointe pas autrui du doigt et que c’est très mal de critiquer une caractéristique physique ou de quelque nature que ce soit.
Le petit, qui s’appelle Milan, écoute la consigne en baissant sa main. Comme si ce geste lui donnait le droit de poursuivre ses remarques. Ce qu’il fait en chuchotant, très fort.
La mère, en fine diplomate, détourne les déclarations de son fils, précisant que ce nez a plutôt du caractère, et ce chapeau, du style.
L’homme et la dame, qui entendent tout sourient gracieusement. Ils ont de l’humour, de toute évidence. Le premier s’adresse d’un ton taquin à son épouse. «Tu sais ma chérie, quand j’étais petit, mon nez était minuscule.»
En disant ces mots, il pointe le bambin de son menton et lui fait un clin d’œil. Et la dame d’ajouter: «Idem pour mon chapeau.»
Le petit écarquille les yeux, essayant de comprendre la logique de croissance des nez et des chapeaux.
Et sa mère, complice du couple, ne désamorce point la taquinerie. Elle pose plutôt la main sur la tête de son garçon en détournant le regard, tentant ainsi de camoufler un irrépressible fou rire.