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La nécessité de déboulonner les mythes

Photo: Chantal Lévesque/Métro

«Une bonne partie des idées reçues sur la migration est basée sur des mythes plutôt que sur des faits. Les politiques migratoires demeurent souvent inefficaces parce qu’elles se fondent sur ces mêmes mythes», a déjà affirmé Peter Sutherland, le représentant spécial du Secrétariat Général de l’ONU pour les migrations internationales*1. Malgré l’abondance de statistiques et d’études scientifiques, les mythes et les fausses perceptions en matière de migration inondent les medias et les réseaux sociaux. Pourquoi en est-il ainsi?

La première explication qui vient à l’esprit est la méconnaissance. En effet, les enquêtes montrent que les perceptions des personnes enquêtées concernant l’immigration sont loin de la réalité. Quelques exemples: en France, les répondants pensent qu’il y a 28% d’immigrants dans leur pays alors que le chiffre réel est de 10%. En Italie, l’écart est encore plus marqué: 30% (niveau perçu) c. 7% (niveau réel). On retrouve aussi des écarts importants en Belgique, en Grande Bretagne, aux États Unis et au Canada. De plus, si l’on interroge les gens sur la proportion de musulmans dans leur pays, les écarts sont substantiels. À la question «Combien y a-t-il de musulmans dans votre pays»? les écarts entre la perception et la réalité sont encore plus importants. Ainsi, on pense qu’il y a en général de 4 à 5 fois plus de musulmans qu’il y en a réellement, y compris au Canada*2. Selon un article du journal Métro du 14 décembre 2016 (citant le Pew Research Center), les perceptions de l’avenir sont encore plus surréalistes: en 2020, les Canadiens croient que les musulmans représenteront 27% de la population alors que les projections en prévoient 2,8%.

Autre constatation: de nombreuses recherches un peu partout dans le monde montrent que les attitudes négatives face à l’immigration sont plus répandues dans les régions où il y a très peu, voire pas du tout, d’immigrants*3. Bref, lorsque les contacts avec les immigrants sont superficiels ou peu nombreux, les individus développent des sentiments d’hostilité qui se traduisent par des opinions anti-immigration.

Évidemment, cela n’explique pas tout car la méconnaissance est trop souvent nourrie par la désinformation véhiculée par les groupes extrémistes et les partis politiques d’extrême droite dont les discours alarmistes en matière d’immigration visent à provoquer et entretenir la méfiance et la peur sur la base d’affirmations non fondées, voire carrément fausses.

C’est ce constat de méconnaissance et de désinformation qui a fait croire à de nombreux chercheurs et groupes de défense des migrants qu’il suffirait alors de faire des campagnes d’information pour rétablir les faits et dénoncer les mythes. Mais, force est de constater que pour plusieurs personnes nous serions actuellement dans une nouvelle ère de «post-vérité» dont la caractéristique serait d’ignorer les faits. En effet, même mis en face des chiffres réels, les gens restent sur leur position. Un article du journal Le Monde datant du 5 mai dernier a présenté une étude, réalisée auprès des partisans du Front National en France, qui a démontré que la présentation des faits «corrigés» («fact checking») contredisant le discours du FN n’a pas eu d’effets ni sur les opinions, ni sur les intentions de vote. L’ignorance, voire même le refus, des faits a de quoi semer le doute et le défaitisme sur l’effet réel des interventions sur l’opinion publique.

Pour ma part, je pense que cette réaction «défaitiste» sous-estime l’impact des analyses scientifiques et de la présentation des faits réels, aussi complexes soient-ils. Certes, un petit nombre de personnes demeureront toujours imperméables aux arguments rationnels, mais il existe une frange importante de la population qui, tout en demeurant ambiguë face à l’immigration, n’a pas d’idées arrêtées sur celle-ci. C’est pour cette catégorie de la population que nous devons continuer à étudier sérieusement le phénomène migratoire et à déboulonner les mythes.

Dans la prochaine chronique, nous allons expliciter davantage les trois termes qui sont au cœur de la présente chronique, en répondant aux trois questions suivantes: qu’est-ce qu’un mythe, pourquoi cibler l’extrême droite et enfin qu’entendre par immigration.

*Pour ne pas alourdir le texte, j’indique mes sources de façon à pouvoir facilement les trouver sur GOOGLE.

  1. Voir Project Syndicate, 10 septembre 2014)
  2. Nardelli & Arnett, 2014, «oday’s key fact»
  3. (pour une étude très récente, voir l’article de De Jong, Graefe, Calvan et Hasanali dans N-IUSSP, 2 octobre 2017)

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