Quel est le prix pour «sortir de la pauvreté»?
Combien une personne démunie devrait-elle gagner «pour sortir de la pauvreté»? Dans une note socioéconomique publiée jeudi, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) avance que ses revenus annuels devraient atteindre 25 512$, soit beaucoup plus que ce que proposent les programmes gouvernementaux.
Ce «revenu viable», comme l’appelle l’IRIS, permettrait à cette personne défavorisée de louer un logement qui corresponde à «ses besoins», de se nourrir et de se vêtir, mais aussi de se déplacer, de se payer des loisirs, de partir en vacances et d’épargner.
«Au gouvernement, il y a une confusion qui existe entre couverture des besoins de base et sortie de la pauvreté, explique le chercheur de l’IRIS et auteur de la note, Philippe Hurteau, en entrevue à Métro.
D’après M. Hurteau, Québec a erré lorsqu’il a élaboré son plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale, rendu public en décembre dernier, en appuyant ses calculs sur la mesure du panier de consommation (MPC). Celle-ci a pour but de mesurer les dépenses «correspondant à un niveau de vie de base», indique Statistique Canada. En 2017, elle s’élevait à 18 845$ pour un Montréalais vivant seul et à 36 950$ pour une famille de deux adultes et de deux enfants.
Dans le plan gouvernemental, qui a donné lieu au projet de loi 173 présentement à l’étude en commission parlementaire, il est prévu que les personnes ayant des contraintes sévères à l’emploi – elles sont environ 100 000 – auront un revenu équivalent à la MPC en 2023. Pour les autres, la couverture de la MPC grimpera de 52% à 55%.
«Dans le plan du gouvernement du Québec, on indique qu’une personne qui atteint la MPC n’est plus pauvre, a mentionné le chercheur de l’IRIS. Selon nous, ce n’est pas le cas. Ses besoins vitaux sont couverts, mais elle est incapable de faire des choix budgétaires, de réagir en cas d’imprévu, de s’absenter du travail sans avoir de lourdes conséquences.»
Le revenu viable, que propose l’IRIS pour une personne seule, est supérieur de 6767$ à la MPC et de 15 299$ par rapport au montant prévu par le programme québécois d’assistance sociale.
«Sur l’aide sociale, les gens ne sont pas seulement pauvres, a fait savoir le chercheur de l’IRIS. Ils ont environ la moitié des ressources nécessaires pour être capables de se payer le minimum. Qu’est-ce qu’ils font? Ils sacrifient leur santé. Ils ne mangent pas assez ou très mal. Ils sont dans des logements insalubres ou trop petits. Ce ne sont pas des conditions de vie décentes.»
Le Collectif pour un Québec sans pauvreté abonde dans le même sens. «La MPC, c’est le minimum pour pouvoir se vêtir, se nourrir et se loger, se déplacer, pour s’en sortir, a dit son porte-parole, Serge Petitclerc. Mais on est loin de la sortie de la pauvreté.»
M. Petitclerc a insisté pour dire que la sécurité du revenu est l’aspect central de la lutte contre la pauvreté, en soulignant du même souffle que des politiques salariales et des services publics ont aussi un effet.
Le collectif réclame que tant les personnes assistées sociales ayant des contraintes sévères à l’emploi que celles qui sont aptes à travailler puissent avoir un revenu couvrant leurs besoins de base. La bataille se fait étape par étape. «Une marche à la fois», a dit Serge Petitclerc.
Dans sa note, Philippe Hurteau ne s’est pas avancé sur les prérequis des personnes qui devraient avoir droit à un revenu viable, ni sur le coût d’une telle mesure. Il a expliqué qu’avant d’arriver là, il fallait établir le montant d’un revenu viable pour ensuite décider de son application et de son incidence sur les finances publiques.
M. Hurteau a toutefois émis l’hypothèse de bonifier les montants que reçoivent les assistés sociaux et d’accorder des subventions aux travailleurs gagnant le salaire minimum pour qu’ils obtiennent un «revenu viable». Il entend poursuivre ses recherches sur le sujet.