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Grand-maman ne nous reconnaît plus

Unrecognizable teenage girl with grandmother at home, holding hands. Family and generations concept. Close up. Photo: Getty Images/iStockphoto

Je regardais ma plus jeune cousine, du haut de ses 8 ans, jouer, rire, et déplacer de l’air dans l’appartement de grand-maman. Elle m’a offert fièrement les chocolats qu’elle avait elle-même confectionnés avec sa mère, placés dans une petite boîte où se trouvait aussi sa photo d’école annuelle, format portefeuille. Elle est tellement brillante et allumée, ma petite cousine. Tellement douce aussi. En la regardant, je me suis demandé si elle comprenait ce qui est en train de se passer avec notre grand-maman.

Car grand-maman, elle, ne comprend définitivement plus tout ce qui se passe autour d’elle. Ça me fait bizarre de la voir comme ça, parce qu’il me semble que c’est arrivé très vite. C’est vrai que l’an dernier, je la trouvais un peu plus silencieuse et observatrice qu’à l’habitude, même si elle n’a jamais été une grande bavarde. Elle était en retrait, elle nous regardait jaser et jouer à des jeux de société en souriant discrètement. Je croyais – peut-être naïvement – que ce sourire en était un de satisfaction que l’âge, la sagesse et la fatigue entremêlés avaient dessiné sur ses lèvres à la vue de ses enfants et ses petits-enfants réunis, joyeux.

Cette année, grand-maman n’a pas beaucoup souri. J’aurais pourtant cru le contraire, car nous étions encore plus nombreux que l’an passé, tous dans la salle à manger de sa belle et grande résidence qui nous accueille chaque premier janvier. Le regard de grand-maman est resté plutôt vide, même lorsqu’on a déposé dans ses bras le plus récent membre de la famille, son arrière-petit-fils. Elle lui a placé un ou deux bisous sur les joues, un peu au ralenti. Mais elle n’a pas souri.

Il fut un temps où le fameux «Comment ça va les études?» dans les partys de famille me gossait beaucoup. Cette année, dans le fond, j’aurais bien aimé que ma grand-maman me gosse avec des questions comme celle-là. Mais elle ne pose plus beaucoup de questions. Elle ne parle plus beaucoup, en fait. Ses phrases sont décousues et il est pratiquement impossible d’avoir une conversation cohérente avec elle. Les cartes de Noël qu’elle nous a offertes étaient accompagnées de textes plutôt confus, d’ailleurs.

Alors en regardant ma plus jeune cousine, du haut de ses 8 ans, jouer, rire et déplacer de l’air dans l’appartement de grand-maman, je me suis demandé si elle comprenait. Car moi, j’ai compris que notre grand-maman a attrapé quelque chose dans la dernière année et que ça ne se guérira pas. Elle a attrapé la vieillesse de plein fouet.

Sur la route du retour, j’ai beaucoup pensé à elle et à mes parents, qui seront les prochains à devenir vieux. Ça m’a fait un choc. Grand-maman nous reconnaît encore tous. Elle se souvient de nos noms, elle sait qui on est et ce qu’on fait, elle sait qu’elle a une famille. Elle n’est pas complètement perdue, elle est consciente de bien des choses même si elle n’arrive pas toujours à l’exprimer. Mais elle a attrapé la vieillesse de plein fouet et ça vient aussi avec la perte d’autonomie, la confusion et la solitude. J’appréhende le triste moment où grand-maman ne nous reconnaîtra plus.

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