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Les écrans plats

Sylvain Ménard

J’aime la télé. Du réveil au sommeil, en sourdine ou à tue-tête, y a toujours un écran allumé quelque part chez nous. Quand l’insomnie me fait traverser une blanche nuit, c’est à cette lumière bleutée que je me fie pour me tenir compagnie. Je le répète et le redis : j’aime la télé.

Mon amour a cependant un coût. Je paie annuellement une fortune pour mon forfait de câble. Les télés généralistes ayant dû sacrifier le sport et la diffusion de documentaires, je n’ai pas d’autre option que de me rabattre sur une autre émission. Un choix que j’ai jusqu’ici dûment assumé. Sauf que…

Je me demande bien où s’en va notre télé dite «spécialisée». Quand je vois le nombre d’émissions consacrées à la rénovation et à la déco à Canal Vie, je me demande pourquoi on ne change pas le nom de cette chaîne pour Canal Visse. Pareil pour Canal D. À la base, on nous avait vendu l’idée que le D signifiait documentaire. Depuis, après avoir écumé tous les catalogues de vieux shows d’humour de l’ère précambrienne, on s’est plutôt tourné vers des docuréalités (qui n’ont rien à voir avec les documentaires dignes de ce nom) et autres freak shows produits ailleurs sur lesquels on plaque des dialogues en français sans trop se soucier de la synchro. Quand on m’envoie une demi-douzaine d’épisodes de la série Douanes sous haute surveillance suivie d’un doublé de La guerre des enchères, j’ai de quoi me demander à quoi ça rime. Mêlez à ça les inénarrables Craindre son voisin, Parcomètre Blues et Harceleurs de stars et vous comprendrez l’ampleur de mon désarroi d’abonné-abusé. Comme le chanterait Christophe Maé, il est où le docu, il est où?

Pas plus tard que la semaine passée, la chaîne Historia (comme dans h-i-s-t-o-i-r-e, vous pigez?) nous annonçait une nouveauté intitulée Du muscle sous le capot, une émission sur la résurrection de la culture Hot-Rod en Amérique. Pas le moindrement économe de grandes annonces, Historia en a profité pour nous faire savoir que la série Belles ordures, consacrée au métier de scrappeur, allait reprendre l’antenne en mars. Voilà ce qui comblera notre bonheur ainsi que le vide entre les sempiternelles rediffusions de Pawn-Stars: prêteurs sur gages et de la série De l’acier et du feu mettant en vedette des forgerons venus des quatre coins des États.

Moi qui avais vu l’arrivée des chaînes spécialisées comme étant la plus belle invention depuis l’avènement du pain tranché, mettons que je reste sur ma faim la plupart du temps avec le menu qui m’y est proposé. Tant d’offre pour si peu…

L’avènement des chaînes de télé spécialisées visait deux buts bien distincts:

– diversifier l’offre en regroupant des émissions autour d’une grande thématique (santé, docu, sports, etc.);

– stimuler la production locale en mettant à profit des talents qui n’avaient plus de niche dans la télé généraliste.

Qu’est-ce qu’on a gagné dans tout ça? Rien. La programmation de ces chaînes se recoupe fréquemment et le contenu «indigène» n’est plus une priorité depuis qu’on a retiré aux diffuseurs l’obligation d’en programmer.

Résultat : la plupart du temps, la télé spécialisée pour laquelle nous payons est devenue une vaste dompe à séries étrangères mal foutues qui n’ont rien à voir avec notre réalité ou notre culture. Après ça, on se demandera pourquoi le monde se précipite avec autant d’ardeur sur Netflix.

Au fil des ans, il n’y a pas que les écrans qui sont devenus plats.

***

Chronique d’une mort annoncée: MusiquePlus, qui sortira définitivement des ondes l’été prochain. Comme dirait l’autre, cette station-là était déjà bien morte avant son décès. Quand ton émission phare s’appelle Buzz et que celle-ci est constituée d’extraits glanés sur YouTube, mettons que… 

Au cours des derniers jours, à peu près tout le monde a fait le post mortem de la grande époque de MusiquePlus. En mettant ça sur le dos des derniers propriétaires en lice, qui ont sorti tout ce qui restait de bon sang dans les veines du moribond. On semble oublier que le processus de déconstruction avait été entrepris depuis bien plus longtemps. À partir du moment où la famille d’Ozzy Osbourne et la gang de débiles de Jackass ont pris plus de place que quiconque sur les affiches, c’en fut fait du projet. Le reste a dès lors été traité à l’avenant. Avec le résultat qu’on connaît. Dans le grand livre des prophètes, ils appellent ça le cycle de la vie.

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