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Dé-effacer l’histoire

Judith Lussier

C’est un lieu commun de dire que l’histoire a été écrite par ceux qui l’ont dominée. Les manuels d’histoire se souviennent bien de la version des faits qui fait leur affaire. Ainsi, selon ce qu’on a appris à l’école, les missionnaires catholiques s’étaient donné pour devoir bienveillant d’éduquer les Autochtones, et les Patriotes n’étaient pas qu’un boy’s club comme les autres. Mais au-delà des versions que l’on peut ajuster au gré des connaissances et sous l’angle des valeurs contemporaines, il y a cette histoire qui a été effacée et qui continue de l’être.   

Cette semaine paraît le balado Debouttes!, qui rappelle à la mémoire le coup d’éclat du Front de libération des femmes lors du procès du felquiste Paul Rose pour protester contre l’interdiction pour les femmes de siéger à un jury. «La justice, c’est d’la marde», scandaient les sept féministes, illico arrêtées. Ces prisonnières politiques ont été complètement évacuées de l’histoire officielle. «Nous avions un projet en ce sens depuis longtemps», se félicitera quelques jours plus tard le ministre de la Justice de l’époque lors de l’annonce du projet de loi qui donnera finalement raison aux «sept jeunes pucelles championnes de la contestation» et «vierges folles», comme les décrivaient les journalistes.

En février, la pièce Blackout entreprenait elle aussi de nous rappeler les événements de Sir George Williams, alors que des étudiants noirs ont été sévèrement réprimés, certains emprisonnés, après avoir manifesté contre la discrimination raciale exercée par un des professeurs de l’établissement. Ironiquement, la pièce était présentée dans le théâtre qui porte aujourd’hui le nom du directeur en partie responsable de l’oppression vécue par ces étudiants, qui sont, eux, demeurés anonymes.

Nous assistons finalement à un dé-effacement de l’histoire. Ce n’est pas une réécriture, c’est un exercice de reconstruction d’une histoire qui n’a jamais été écrite. Les historiens du moment n’ont pas retenu comme importants des faits marquants pour des communautés invisibilisées. Les médias de l’époque, qui devaient former le matériau de base de cette histoire, étaient encore – comme ceux d’aujourd’hui – dominés par une élite intéressée par ce qui lui ressemble.

L’histoire fait toujours l’objet de choix. Dans un cours suivi il y a quelques années, on apprenait l’existence du Manifeste pour un Québec lucide – et sa réplique solidaire –, présenté comme un moment marquant de notre histoire contemporaine. Pourquoi sélectionner ce moment? Honnêtement, je l’ai vécue, cette période-là, et si c’était juste de moi, j’aurais fait un autre choix.

Ce qu’il y a d’intéressant, à déterrer les histoires qu’on a oubliées, c’est qu’on comprend aujourd’hui les mécanismes qui ont mené à leur effacement. Mais ça ne nous empêche pas de les reproduire. On les reconnaît parfois dans l’histoire qui se répète. On ridiculise les FEMEN, on tasse les communautés marginales du récit d’émancipation des minorités sexuelles, on aime croire que les colonisateurs français ont été ben corrects au fond et on retiendra probablement de l’affaire SLĀV que des militants un peu trop enclins à l’indignation ont voulu censurer une œuvre d’art.

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