Laïcité: la Cour d’appel refuse de suspendre la Loi 21
La Cour d’appel du Québec ne suspendra pas la Loi 21 sur la Laïcité de l’État. La juge en chef, Nicole Duval Hesler, se pose toutefois en opposition avec ses collègues. Elle aurait souhaité accueillir l’appel «en partie» et lever l’interdiction du port de signes religieux pour les fonctionnaires en attendant que le dossier soit entendu sur le fond.
C’est donc dire que l’interdiction des signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité, y compris les enseignants, reste en vigueur. Le dossier devra faire l’objet d’une étude plus détaillée des tribunaux au cours des prochains mois, voire des prochaines années.
Dans un jugement rendu jeudi, le plus haut tribunal de la province accueille malgré tout la demande des plaignants de «présenter une preuve nouvelle».
Déceptions et satisfactions
Appelé à réagir, le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) s’est dit «déçu» du résultat. «Nous n’avons jamais pensé qu’il serait facile de lutter pour les droits des Québécois et des Canadiens, a affirmé le directeur exécutif de l’organisme», Mustafa Farooq.
Ce dernier indique que le CNMC examinera maintenant ses options. «Nous défendrons toujours la protection des droits des Québécois», renchérit-il.
À l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), la porte-parole Noa Mendelsohn Aviv qualifie la décision de «dévastatrice». «[Cela] n’apporte aucun soulagement aux enseignants qui ne peuvent pas travailler dans leur profession, aux parents soucieux de subvenir aux besoins de leurs enfants et aux individus concernés par leur avenir», dénonce-t-elle.
«Cette souffrance n’a été imposée pour aucune autre raison que ce que l’on porte, comment on pratique la religion, ou le fait qu’on a l’air différent de la majorité. Nous n’avons pas fini de combattre cette loi injuste.» -Noa Mendelsohn Aviv, porte-parole de l’ACLC
Un son de cloche fort différent pour la ministre de la Justice, Sonia Lebel.
«Le gouvernement du Québec est satisfait de constater que Loi sur la laïcité de l’État adoptée par l’Assemblée nationale demeure en vigueur, a-t-elle commenté dans un communiqué. Nous continuerons à défendre le bien-fondé et la constitutionnalité de cette loi.»
Préjudices «sérieux et irréparables»
La Cour d’appel avait accepté de débattre de la Loi sur la laïcité en août dernier, après que le juge de la Cour supérieure Michel Yergeau ait refusé de suspendre la loi adoptée en juin par le gouvernement Legault. Selon ses dires, la disposition de dérogation empêche la contestation de cette loi sur la base qu’elle viole des droits.
Jeudi, le juge Robert Mainville lui a donné raison. S’il reconnaît que des préjudices «sérieux et irréparables» peuvent être causés aux enseignants notamment, il affirme que de suspendre la loi «à ce stade préliminaire des procédures» n’est pas possible sur le plan juridique.
La principale plaignante dans le dossier, Ichrak Nourel Hak, veut faire suspendre deux des articles très controversés de la Loi 21, dont celui qui interdit aux professeurs de porter des signes religieux dans les écoles publiques.
Elle est soutenue dans son combat par le CNMC et l’ACLC. En salle de cour, ils s’étaient entre autres attaqués au caractère discriminatoire, voire inconstitutionnel, de la Loi 21. Celle-ci cible directement les femmes selon eux, plus particulièrement les femmes musulmanes qui portent le hidjab.
Un processus entaché de plaintes
La décision arrive après plusieurs semaines de controverse. Au début décembre, une plainte a été déposée au Conseil canadien de la magistrature contre la juge en chef de la Cour d’appel, Nicole Duval Hesler, entre autres pour des paroles prononcées pendant qu’elle entendait les arguments pour et contre la Loi 21.
«Qui souffre davantage, les allergies visuelles de certains, ou les enseignantes qui portent le voile?» avait laissé entendre la juge en pleine audience, le 26 novembre dernier.
C’est l’historien et professeur au Collège Dawson, Frédéric Bastien, qui a déposé la première plainte à l’endroit de Mme Duval Hesler au Conseil de la magistrature.
Depuis, des dizaines de plaintes ont été envoyées à l’institution pour les mêmes motifs, dont l’ex-candidate du Parti québécois dans Gouin, Louise Mailloux.