«Nègre»: Domique Anglade appuie une professeure réprimandée
La première femme noire à la tête du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, s’est dite préoccupée qu’un climat de censure s’installe dans le milieu universitaire: en entrevue à Radio-Canada mardi matin, elle donne son appui à la professeure de l’Université d’Ottawa réprimandée pour avoir prononcé le mot «nègre».
C’est dans le cadre d’un de ses cours que Verushka Lieutenant-Duval a utilisé l’exemple de l’insulte raciale pour expliquer le concept de «resignification subversive» à ses étudiants. Il s’agit de la réappropriation par un groupe d’un mot d’abord utiliser pour l’insulter.
Dénoncée par des étudiants qui condamnent l’utilisation du mot peu importe son contexte, Mme Lieutenant-Duval a été suspendue par l’université. L’institution a offert aux étudiants de changer de professeur pour le reste de la session.
Pouvoir en parler
«Dans un contexte où on essaie d’expliquer le mot, particulièrement le mot « nègre » dans ce cas-là, il y a une histoire associée à ça. Il faut pouvoir en parler, il faut pouvoir en débattre et le faire de manière constructive en sachant que c’est un mot chargé émotivement», a déclaré Mme Anglade au micro de Patrick Masbourian.
Selon Mme Anglade, il y a moyen de citer le terme dans certains contextes. «Quand il est utilisé pour blesser quelqu’un ou envoyer des commentaires racistes, il faut le décrier. Mais à l’université, dans certains contextes, je pense qu’on va devoir être capables de se dire les choses.»
Dominique Anglade, qui est d’origine haïtienne, a d’ailleurs prononcé le mot «nègre» à plusieurs reprises pendant l’entrevue, alors que son interlocuteur parlait plutôt du «mot qui commence par « n »».
La liberté d’expression et la liberté de débattre doivent pouvoir exister au sein de nos institutions, estime Mme Anglade. «Si on commence à dire « ce mot-là ne peut pas être utilisé », où va-t-on dans nos universités? C’est ça que je déplore», a ajouté la cheffe du Parti libéral du Québec.
D’autres appuis
Vendredi, quelques 34 collègues de Verushka Lieutenant-Duval ont signé une lettre pour dénoncer publiquement le traitement qui lui avait été réservé.
Comme Dominique Anglade, ils sont d’avis que l’université doit être un lieu où il est permis d’explorer les différentes réalités de l’histoire et d’en débattre.
Mardi matin, près de 600 professeurs de cégeps et d’universités ont donné leur appui à la professeure Lieutenant-Duval dans une lettre publiée en une du journal Le Devoir.
Sur les réseaux sociaux, la vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbault, a réagi à la controverse en dénonçant des «dérapages innaceptables».
«Ce qui me trouble également, c’est de voir l’Université jeter cette professeure en pâture à des militants agressifs qui tiennent des propos violents envers elle et les francophones. Je ne peux m’empêcher d’y voir une certaine lâcheté de la part de la direction», a-t-elle écrit sur sa page Facebook personnelle mardi matin.
Lors d’un point de presse à l’Assemblée nationale du Québec, les co-porte-paroles de Québec Solidaire, Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois, se sont aussi rangés derrière la professeure. «Je pense que le recteur doit revenir sur sa position», a déclaré Mme Massé.
Quant à lui, le recteur de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont, défend le droit à la dignité des étudiants qui se sont senti brimés tout en appuyant la liberté académique.
«Responsabilité académique»
Cependant, des étudiants en faveur de la suspension de la professeure estiment que cette dernière a failli à son devoir de «responsabilité académique».
«Elle n’avait pas enseigné l’usage du mot, elle l’avait présenté comme un mot pouvant être réapproprié dans le contexte», a raconté le président du syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa, Babacar Faye, en entrevue à Radio-Canada.
Lorsque Verushka Lieutenant-Duval a été corrigé par une étudiante, elle s’est excusée. «Ensuite, elle a demandé à l’étudiante d’elle-même prendre la responsabilité de l’expliquer, alors que c’est la prof qui est responsable d’enseigner son cours», a souligné M. Faye.
L’étudiant a tenu à rappeler que la communauté noire de l’Université d’Ottawa est victime de profilage racial sur le campus. «On demande une conscience de la part de notre université et du corps professoral», a-t-il ajouté.