Référendum de 1995: «je me souviens», disent des députés
Fermement pour le Oui, ouvertement pour le Non: à l’Assemblée nationale, des députés de tous les horizons ont vécu le référendum sur l’indépendance du Québec, le 30 octobre 1995. Sept d’entre eux – tout parti confondu – ont raconté leurs souvenirs à Métro, 25 ans plus tard.
Manon Massé (QS)
Avant le référendum, le pain et les roses. Figure de proue des luttes féministes dans les années 1990, Manon Massé, vote pour le Oui le 30 octobre, quelques mois après avoir organisé la Marche du pain et des roses. Long de dix jours, ce pèlerinage entre Montréal et Québec déplore alors l’iniquité de richesse entre les hommes et les femmes.
«L’indépendance doit servir à améliorer les conditions de vie du monde à la base», commente 25 ans plus tard la co-porte-parole de Québec solidaire.
«Pour moi, ’95, c’est avoir réussi à mettre les femmes en mouvement.» – Manon Massé
«Comme tout souverainiste», Mme Massé est «bouleversée» par les résultats finaux. Puis le premier ministre du Québec prononce les mots fatidiques: «l’argent et les votes ethniques» ont coûté la victoire au Oui, lance Jacques Parizeau.
«C’est là où mon coeur s’est déchiré. À l’époque, je militais avec des femmes de tous les horizons. Je trouvais que c’était [ces termes] une façon de nous diviser», souligne la députée solidaire.
Dominique Anglade (PLQ)
La cheffe du Parti libéral du Québec est une militante de la première heure pour le camp du Non. À 21 ans, l’étudiante à Polytechnique milite comme présidente d’association pour vanter l’unité canadienne. Dans un de ses premiers votes démocratiques, Dominique Anglade se prononce contre la séparation du Québec.
À mesure que les résultats rentrent ce soir-là, elle prévoit tout de suite leurs répercussions.
«J’étais très consciente du fait que c’était une victoire douce-amère. Ce n’est pas une victoire après laquelle tu te dis: on l’a eu!», indique-t-elle à Métro. Avec près de 50% du vote, le camp souverainiste profitera des années suivantes pour négocier certaines conditions auprès d’Ottawa.
En entendant les propos de M. Parizeau le 30 au soir, Mme Anglade se désole. Elle pense à certains membres de sa famille, d’origine haïtienne, qui ont voté en faveur du projet d’indépendance.
«Je pensais beaucoup aux gens qui avaient voté pour le Oui et qui faisaient partie des « groupes ethniques », justement. Ce n’est pas quelque chose à couper au couteau», avance Mme Anglade.
Paul St-Pierre Plamondon (PQ)
Paul St-Pierre Plamondon a tout juste 18 ans lorsqu’il vote en ’95. C’est son premier vote à vie. Quelques heures auparavant, ses parents, fédéralistes, ont refusé de conduire leur fils indépendantiste au bureau de vote.
«Je suis allé en marchant», raconte-t-il.
La fébrilité qu’il ressent dans l’isoloir laisse vite place à la déception. «Je me souviens d’avoir pleuré» en apprenant les résultats, lance «PSPP».
«La fenêtre immédiate, on l’avait ratée. Je me souviens de la pesanteur de l’air le lendemain matin.» – Paul St-Pierre Plamondon
Le tout nouveau chef du Parti québécois parle même d’un choc «post-traumatique» dans la population québécoise. «Ça a éloigné une partie de la jeunesse, de gens comme moi», analyse M. St-Pierre Plamondon, qui veut aujourd’hui «rebâtir le camp du Oui» et relancer le débat référendaire.
Richard Campeau (CAQ)
Richard Campeau a voté à deux reprises pour le Non. Ironie familiale: l’un de ses cousins est Jean Campeau, co-président de la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec et indéfectible souverainiste.
«Dans ma famille, c’était moitié-moitié», se remémore Richard Campeau, député de Bourget, dans l’est de Montréal.
Le soir du 30 octobre, il y a un quart de siècle, l’élu caquiste s’est installé sur son sofa quelques minutes avant les résultats. «À mesure que je voyais les choses arriver, j’étais inquiet que le choix que j’avais fait ne passait pas», souligne M. Campeau au sujet du vote pratiquement à 50-50.
Plus de 90% de la population québécoise a voté en octobre 1995. Le député se rappellera toujours du référendum comme un exemple probant du respect des institutions démocratiques.
«Ce qui m’a frappé, c’est la résilience des Québécois. Les gens ont accepté la décision démocratique.» – Richard Campeau
Harold LeBel (PQ)
Au contraire de son chef, Paul St-Pierre Plamondon, Harold LeBel est loin d’en être à son premier vote le 30 octobre 1995. Il a d’ailleurs milité pour le Oui en 1980, dans le cadre du premier référendum sur la Souveraineté-Association.
Ce premier vote référendaire dans l’histoire du Québec affecte fortement l’actuel député, qui a alors 17 ans. «J’avais trouvé ça plus difficile. C’était une grosse défaite», souligne l’élu de Rimouski, qui fera son entrée à l’Assemblée nationale près de 40 ans plus tard.
En 1995, Harold LeBel est un des rares partisans du Oui à garder son optimisme.
«La mobilisation était forte. La courte victoire des fédéralistes ne l’était pas assez, forte. On pouvait imposer des changements», se remémore-t-il.
Louis Lemieux (CAQ)
Le député de Saint-Jean n’a pas pu voter le 30 octobre. Journaliste dans les Maritimes pour Radio-Canada, Louis Lemieux doit se contenter d’assister au vote comme observateur externe.
Dans les semaines menant vers le vote, M. Lemieux, qui a passé «vingt ans au Canada anglais», s’amuse à comparer l’opinion des différentes provinces canadiennes. «J’ai adoré la perspective atlantique parce que c’est complètement différent de l’Ouest, indique-t-il. Mais pour eux, [l’indépendance] c’était être coupé du reste du Canada. Ça m’avait frappé.»
Quelques semaines avant le vote, surprise: le diffuseur public affecte M. Lemieux à la soirée référendaire dans le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il pourra au moins y assister, se réjouit-il. Ce soir-là, il est aux premières loges de la réaction «forte» des gens de la région, qui ont voté massivement en faveur de l’indépendance.
Le parti de M. Lemieux, la Coalition avenir Québec, est comme son nom l’indique une coalition de politiciens. Son chef, François Legault, est un ancien député péquiste. S’il avait pu voter, quel choix aurait fait Louis Lemieux?
«J’aurais probablement voté Oui», affirme-t-il.
Kathleen Weil (PLQ)
Mère de jeunes enfants et fonctionnaire en 1995, Kathleen Weil se tient le plus loin possible des débats partisans dans le cadre du référendum. Au fond d’elle même, toutefois, elle connaît sa vision: c’est Non, à tout prix.
Le 27 octobre, jour de sa fête, elle se permet un bain de foule au fameux Love-in de la Place du Canada. «C’était libérateur. Toute ma vie, j’étais un pied et l’autre dans deux mondes», lance Mme Weil.
La soirée référendaire de la famille Weil est presque éclipsée par la préparation pour la journée suivante: l’Halloween. «Il faut préparer les citrouilles. Il faut décorer la maison. Les enfants sont tellement excités, et nous, on pense juste au référendum. On pensait perdre», relate la députée libérale.
Puis les résultats à Montréal et en Outaouais arrivent, comme des bonbons pour les parents de la famille Weil: le lendemain sera uniquement consacré à la chasse aux friandises.