Acquittement de Rozon et Salvail: que reste-t-il de #MoiAussi?
Maintenant que Gilbert Rozon et Éric Salvail ont été acquittés au terme de leurs procès pour agression sexuelle, que reste-t-il du mouvement #MoiAussi à l’origine de leurs dénonciations en 2017?
Ce sont des verdicts d’acquittement qui alimentent le sentiment d’injustice et qui propulsent des mouvements sociaux, affirme la directrice générale de la clinique juridique JuriPop, Sophie Gagnon.
Or, si les dossiers de MM. Rozon et Salvail ont été érigés en symbole au sein de la société, ce n’est pas pour autant le cas dans le système de justice, estime l’avocate.
«Aux yeux de la justice, ce ne sont que deux dossiers individuels qui ne sont ni symboliques ni représentatifs de la manière dont la justice aborde les crimes d’agression à caractère sexuel», pense Sophie Gagnon.
Bien que le ministère public n’a pas pu prouver leur culpabilité hors de tout doute raisonnable, cela ne signifie pas que c’est la même chose dans tous les autres dossiers, ajoute-t-elle.
Les failles du système
Pour la cofondatrice de Québec contre les violences sexuelles, Mélanie Lemay, les jugements d’acquittement sont justement la démonstration des failles du système de justice à traiter les violences sexuelles.
«C’est représentatif de la vaste majorité des situations d’agression sexuelle qui ne passent pas l’épreuve des tribunaux», explique Mme Lemay. Elle estime que la création d’un tribunal spécialisé pour les violences sexuelles est une bonne idée.
La sociologue Sandrine Ricci va jusqu’à proposer une réforme complète des règles de droit devant «l’impasse».
«Comment on va se sortir du doute raisonnable qui bénéficie par définition à l’accusé?, demande-t-elle. Ce système de justice public est mis à mal par des moyens privés complètement disproportionnés.»
Pour avoir elle-même passé par le processus judiciaire, Mélanie Lemay sait qu’il est difficile. «On nous amène à entrer dans des cases très petites où finalement seulement trois agressions sexuelles déclarées sur 1000 se soldent par une condamnation», précise la survivante.
L’utilité sociale de #MoiAussi
Sandrine Ricci pense que les effets de #MoiAussi dépassent la question de l’accès à la justice. «Ça a contribué à construire l’opinion publique sur ces problématiques», précise-t-elle.
Sophie Gagnon est aussi d’avis que les différentes vagues de dénonciation ont une «utilité sociale».
«Tant et aussi longtemps qu’on n’aura pas amélioré l’efficacité de notre système de justice criminelle en matière de crimes sexuels, il y aura d’autres mouvements comme ceux-ci», indique-t-elle.
Mélanie Lemay perçoit surtout les mouvements de dénonciation comme une «réponse logique à l’incapacité de la société de prendre en compte nos voix» et à «l’impunité de la justice».
#MoiAussi: recours au civil après un acquittement
Pour les victimes qui voudraient tout de même se tourner vers le système de justice, d’autres recours juridiques existent.
Effectivement, Annick Charette et Donald Duguay, les plaignants des affaires Rozon et Salvail, pourraient se tourner vers les tribunaux civils.
«En matière criminelle, les parties n’ont pas les mêmes droits. Tout le système est construit pour protéger les droits de l’accusé. En matière civile, les parties jouent à armes égales», résume Sophie Gagnon.
Cela signifie que le fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas en matière civile. «Si on regarde le dossier de M. Rozon, les chances sont que si ces preuves étaient administrées devant un tribunal civil, Mme Charette aurait gain de cause», illustre Me Gagnon.
Toutefois, la justice civile relève du domaine privé. «Une personne qui intente une poursuite doit défrayer les coûts de la justice, ce qui n’est pas accessible à tout le monde», rappelle l’avocate.
En outre, une poursuite au civil n’a pas les mêmes finalités qu’une poursuite au criminel. «Seule la justice criminelle peut mettre les gens en prison, d’empêcher la récidive et de punir socialement. Le système civil permet d’obtenir une compensation financière pour des dommages», explique Me Gagnon.