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Ultracrépidarianisme

Frédéric Bérard

Un beau mot, hein? J’ignore combien de points au Scrabble, mais sûrement dans le rayon payant. En gros : comportement consistant à donner son avis sur des sujets pour lesquels nous n’avons aucune connaissance crédible. 

 Évidemment improbable, mais il s’agit du mot incrusté à mon esprit depuis la récente mascarade du Capitole, remake cheap, loufoque et raté, de la Bastille. Parce qu’au-delà des uniformes comiques dignes des Pierreafeu (allô, Grand Boubou), le spectacle se révélait, sur le fond, d’une solide tristesse. 

– Mais qu’est-ce que vous foutez-là, les olibrius? 

– La révolution! de clamer Elizabeth de Knoxville Tennessee, pleurant du même coup sa vie. La raison? Il nous ont aspergés de gaz!! Bouhouhou… 

Vivement la révolution de salon, pis en pantoufles. Moins de trouble*. La vraie question, cela dit : de quelle révolution parlez-vous? De qui, de quoi, pourquoi? 

La réponse (aux allures de lexique de Star Wars):  

– RAWRGWAWGGR!!!

– Quoi??

– RWGWGWARAHHHHWWRGGWRWRW!!

 – Ok ok, Chewbacca. Hasta la victoria siempre.

Reste que si les motifs des apôtres demeurent trop souvent inintelligibles, ceux de leurs gourous sont, pour leur part, limpides : conserver ou optimiser leur notoriété et pouvoir en manipulant les faits, la vérité et, par conséquent, les ouailles. I won the election by a lot!!, hurle encore le facho-en-chef. Peu importe que l’ensemble de ses procédures judiciaires entamées se soient soldées en échec cuisant, incluant devant des juges nommés par lui, rien à faire. Les crédules répondent à l’appel, grimpent le mur (grosse efficacité) les séparant de la maison législative, sous l’œil satisfait du tyran-psychopathe.  Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose, écrivait Voltaire. 

 On m’accusera ici d’étirer considérablement le concept même d’ultracrépidarianisme, le tout avec raison. Sauf que les racines, identiques, laissent plutôt croire à une simple variation sur un même thème : comment peut-on risquer sa liberté, sinon sa vie, au nom d’un non-événement, aka une prétendue fraude électorale? Qu’est-ce qui poussent ces bonnes gens à agir de la sorte malgré les trucks de preuves à l’effet inverse? Le manque d’éducation? Entendu. Les études témoignant que le quotient intellectuel général soit en chute libre depuis quelques décennies? Entendu aussi, ceci expliquant d’ailleurs peut-être cela.

 Mais de là à croire en un lien entre une pandémie et la 5G? Les chemtrails issus d’un complot gouvernemental afin de nous empoisonner? Trudeau en tant que pédo-lézard? Voyons donc, bout de diable… Il s’est passé un truc pendant que je dormais? Le boulon de notre intelligence collective a sauté en pleine nuit? Pas intelligence au sens d’Einstein, s’entend, mais au sens d’être minimalement pas trop cave, mettons? J’exclus ici, vous l’avez saisi, l’enjeu des maladies mentales, tristes mais au moins «excusables». Je réfère plutôt à cette indicible bêtise rendue virale, affectant l’ensemble de nos rapports sociaux. 

Renan disait que «la démocratie est un plébiscite de tous les jours». J’ajouterais qu’elle est également l’art de persuader. Or, si aucune discussion rationnelle n’est encore possible, si la croyance prédomine en tout point la réflexion, pas besoin de la tête à Papineau, justement, pour comprendre qu’on est sur la point de se la planter (la tête) droit dans le mur.

 Ultracrépidarianisme, donc. Ou même pire, à vrai dire. Parce la preuve est faite, et disponible, quant à leur bêtise. Et ils persistent. Faudrait ainsi inventer un nouveau mot. Payant ou pas, au Scrabble. Rendu-là, m’en crisse. 

 

*Au moment de mettre sous presse, Che, Lénine et Trotsky se bidonnaient encore.

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