Le sexe de Monsieur Patate
Dans un groupe privé, sur Facebook, la « nouvelle » tombe : la compagnie de jouets Hasbro produira dorénavant des « patates » non genrées.
-Hey boy, certains vont en avoir pour deux semaines de chroniques….
-Temps plein, à part ça.
Quelques minutes plus tard, et comme de fait : mitrailles en rafale, publications de médias sociaux incluses.
Le feu, mesdames et messieurs. Apothéose du débat public et quintessence de la réflexion collective. La question à surchauffer les neurones: moustache et bizoune en plastique vont-elles obligatoirement de pair? Une patate non binaire produit-elle de la purée non-genrée? Patate que oui, patate que non? Pas simple, pas simple…
-Ouin mais c’est la preuve de la néo-hégémonie du wokisme, ce concept importé des USA et qui…
-Ah, crisse-nous patience.
-Ben là! Ça ne te dérange pas, toi, qu’une compagnie se plie aux diktats d’une minorité d’extrême-gauche? Dans le temps, avec Michel Chartrand, ça, c’était de la vraie gauche !
-Michel Chartrand, mon Ti-Proutte, t’aurait assurément botté le cul jusque dans la stratosphère…
-Pourquoi ça?
-Parce que t’es non seulement un sophiste d’exception, mais surtout un insignifiant de première. Un amuseur de foule, sinon animal de cirque, qui ne fait que nous distraire des enjeux d’importance.
-Je fais juste m’objecter aux Wokes qui imposent les paramètres du débat public!
-De la projection,
-Hein?
-Tu reproches précisément aux Wokes ce que toi et ta bande de Beauce Carnaval faites à tous les jours : prendre d’insignifiantes anecdotes afin de les monter en épingle, taper ad nauseam sur le même clou médiatique jusqu’à la prochaine futilité, et orienter le débat. Exactement ce que suggérait Carl Schmitt en proposant que la politique résidait dans l’art de se construire des ennemis.
Exit le réchauffement climatique, les disparités sociales et le racisme systémique, voici maintenant la patate non-binaire, symbole par excellence d’une dégénération sociale annoncée.
-Mais t’en penses quoi, sérieux?
-De quoi?
-Ben…de Monsieur Patate?
-Que si tu l’avais au fond de la gueule, on aurait la paix.
***
Y a pire, remarquez bien : il y a quelques jours à peine, les micros s’entretuaient afin de déterminer si, et dans quelle mesure, la violation du droit fondamental de bouffer du popcorn dans les salles de Guzzo Premier, s’avérait justifiée aux yeux d’une société libre et démocratique.
Peu avant, sinon simultanément, se tartinaient d’autres débats métaphysiques : oui ou non, la quarantaine obligatoire pour les snowbirds? Si mon chien a envie de pisser après 20h, je fais quoi? Et si j’aime ça, moi, prendre une marche en pleine nuit à -35 Celsius, Arruda peut-il m’en empêcher? Pis si j’ai une condition médicale m’autorisant à me geler les couilles? Quid la constitutionnalité de m’empêcher de contaminer grand-maman à Noël? Existe-t-il un droit inaliénable au sucre à crème?
Pas simple, pas simple, bis. Quand je ferme les yeux, j’imagine aisément les Camus, De Beauvoir et Sartre, camouflés dans un appart miteux de St-Germain-des-Prés en pleine résistance, à l’abri des regards nazis ou collabos, en train de s’éclabousser le cerveau de tensions consubstantielles :
-Albert?
-Oui Simone?
-Selon vous, existe-t-il quelconque lien entre l’émasculation de Monsieur Patate et racisme anti-blanc?
-Hmmm, celle-ci me semble effectivement un brin foncée, ce qui m’appert absurde.
-Jean-Paul?
-L’existence est plutôt insignifiance.
-Mais qu’en est-il du deuxième sexe…de Monsieur Patate?
-Au four?
-Bah, la patrie, l’honneur, la liberté, il n’y a rien : l’univers tourne autour d’une paire de fesse, c’est tout…
-Idem pour le popotin de la patate?
-Inutile de le nier, la femme n’est pas pareille à l’homme.
-Alors on lui greffe ou non, la bizoune en plastique?
-Ne pas choisir, c’est encore choisir.
La bêtise insiste toujours, mes amis…