Une vie en CHSLD, la suite
Au lendemain d’un débat chez Denis Lévesque, l’ami André m’écrit, sans avertissement ni même p’tit bonjour :
– Man, j’espère que Gilles Proulx finira en CHSLD à son tour…
– Hein ?
– Sérieux, c’est vraiment de la marde qu’on vous demande de vous prononcer sur le fonctionnement des CHSLD, sur la chaîne de commandement, sans que ni lui ni toi sache comment ça fonctionne…
Il n’a pas tort, évidemment. Mais bon, c’est quand même irréaliste de penser, voire souhaiter, qu’un affrontement hebdomadaire puisse mettre aux prises deux spécialistes, au sens fort du terme, d’une panoplie de sujets autant variés.
Cela étant, le propos d’André m’ébranle. Parce que lui, au contraire de Proulx et moi, connaît et comprend les rudiments de ces nids à décès cause-COVID. J’avais d’ailleurs discuté en ces pages, l’été dernier, de son enrôlement dans cette mission à haut risque. Sept mois plus tard, sa formation complétée et une tonne d’illustrations en tête, difficile de trouver meilleur témoin oculaire de la situation.
– Est-ce que j’ai dit une connerie ?
– Non. T’as même bien fait de répliquer à Proulx [qui s’attaquait au prétendu laxisme provoqué par le syndicalisme de la boîte] que tu préférais avoir 12 gars sur le terrain que dans des bureaux administratifs.
– Me souviens plus, mais ok, tant mieux alors.
– Parce que pour comprendre un vieux qui n’a plus sa tête mais qui est encore digne, ça prend des temps morts.
– Qu’est-ce que tu veux dire?
– Je veux dire du temps où nous, les préposés, on peut sortir de la chaîne de montage.
– C’est quoi, la chaîne de montage ?
– Le moment où on lave les personnes âgées, les nourris ou changent leurs couches. Les trucs routiniers, si t’aimes mieux.
– Ok.
– Donc c’est ça, faut sortir de cette même chaîne pour prendre le temps de s’assoir avec eux, jaser un peu, tenter de les comprendre. Parce que même si certains sont parfois un peu solidement confus, imagine donc qu’ils demeurent humains…
– Je comprends.
– Et nos boss nous surveillent, histoire que tout se passe bien. Ce sont des infirmières, évidemment qualifiées, qui nous expliquent comment prendre soins de nos résidents, en fonction bien sûr de leur condition médicale respective.
– Oui ok.
– Et ces infirmières comptent sur nous afin de les tenir au courant de leur moral, de leur situation sur le plan physique.
– Je vois.
– Mais le gros problème, c’est ceci : quand un résident va moins bien, les moyens des infirmières pour arranger les choses sont minimes. Faut attendre le médecin.
– Et ?
– Et bien parfois, il ne passe pas avant 4-5 jours.
– Ouch.
– Donc mélange ça avec la COVID, avec le manque de personnel provoqué par celle-ci…
-J’imagine.
– Quand le médecin arrive, il est parfois trop tard. Un résident qui ne mange plus et ne boit plus, ça nous est arrivé, il y a deux semaines. Il refusait toute nourriture, toute eau, recrachait tout. Le temps que le médecin passe, le résident est mort. Déshydraté.
– Wow.
– Une infirmière ne peut pas décider de gaver par intraveineuses un résident. Et comme un CHSLD constitue un «milieu de vie» et non un milieu hospitalier, si un résident refuse un traitement ou soin, on ne peut pas le forcer.
– Re-wow.
– Ce qui fait que clairement à Herron et ailleurs, il y a eu de la grossière négligence. Mais pour le reste, ça demeure complexe en christ, comme situation.
– Je l’ignorais, tu fais bien de me dire.
– Les CHSLD c’est la dump du système de santé au Québec. Le problème, c’est ça. J’ai une formation très très très généraliste sur les soins, et je deal avec des traumatisé crâniens, des Alzheimer, des bipolaires, des gens souffrant de sclérose en plaque, des amputés graves. C’est gens-là sont dans la même câlisse d’unité, même s’ils n’ont rien à voir ensemble d’un point de vue médical. Bon j’arrête. Ton clip avec Proulx m’a mis le feu au cul…
– Je te comprends. Ma yeule. Pis pardon.