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CHSLD: le rapport de la coroner écorche tout le monde

Géhane Kamel, coroner en charge de l'enquête sur la tragédie dans les CHSLD pendant la pandémie de covid-19
Me Géhane Kamel Photo: Josie Desmarais/Métro

Horacio Arruda, Danielle McCann, Marguerite Blais, les CIUSSS, l’INSPQ et même Gaétan Barrette: tout le réseau de la santé et une bonne partie de la classe politique reçoivent une part de blâme dans le rapport de la coroner Géhane Kamel sur la tragédie dans les CHSLD pendant la première vague de la COVID-19. Notamment dans la gestion de l’éclosion au CHSLD Herron.

«Il est temps d’agir à l’interne pour simplifier les structures et donner à chaque établissement les pouvoirs nécessaires pour réagir à une crise. Nous sommes à la croisée des chemins», affirme la coroner à la conclusion d’un rapport étoffé de 193 pages.

Un rôle trop «politique» pour Horacio Arruda

Me Kamel y adresse un mot critique à presque tous les acteurs qui sont passés devant elle lors des audiences de l’enquête publique de la coroner. Parmi ses cibles se trouve le double rôle joué par le directeur national de la santé publique, le Dr Horacio Arruda. Elle critique spécifiquement le fait qu’il était également sous-ministre adjoint. Ce rôle politique nuirait à sa crédibilité dans son rôle scientifique, souligne Me Kamel.

«Le rôle du directeur national de santé publique et celui de sous-ministre sont deux rôles distincts et ne sont peut-être pas compatibles. […] Les impératifs sanitaires ne correspondent pas nécessairement aux intérêts politiques et économiques d’un gouvernement, que ce soit au Québec ou ailleurs. […] Le directeur national de santé publique doit être en mesure de faire ce qu’il croit être le mieux pour la santé de la population et d’être la plus haute autorité en matière scientifique, au risque de ne pas loger à la même enseigne que le gouvernement», écrit-elle.

Me Kamel revient notamment sur l’épisode des masques. Le Dr Arruda avait initialement refusé le port du masque obligatoire, avant de demander son imposition.

«Le directeur national de santé publique a révélé lors de l’enquête que, bien qu’inquiet dès la fin janvier 2020 pour les aînés, il a dû jongler avec des recommandations qui, selon ses propos, devaient passer le test de la réalité. Ce test de la réalité faisait notamment référence à la consigne du port du masque qui n’était pas nécessaire malgré les demandes incessantes du terrain. Son avis aurait-il été le même s’il n’avait pas eu à s’inquiéter d’une rupture éventuelle des stocks? J’ai tendance à croire que non. De là, à mon humble avis, le danger de porter les deux chapeaux.»

Extrait du rapport de Me Géhane Kamel

La révision du rôle du directeur national de la santé publique est d’ailleurs la toute première recommandation de la coroner à l’égard du gouvernement du Québec, «afin que ses fonctions soient exercées en toute indépendance et sans contrainte politique».

Gestion déficiente au CHSLD Herron

Concernant le CHSLD Herron, le constat de la coroner est sans appel. La gestion de l’établissement était déficiente avant même l’éclatement de la pandémie, rendant impossible une réaction efficace.

«Toute la gestion se fait à la petite semaine. De façon générale, il n’y avait pas de structure de gestion suffisante et compétente en place au CHSLD Herron», écrit-elle.

L’intervention du gouvernement et du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal n’a toutefois pas aidé.

«Tant le sous-ministre que la ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque confirment que dès le 29 mars 2020, leur compréhension est que, malgré le fait que le CIUSSS n’a pas les leviers juridiques pour le faire, celui-ci est désormais responsable de la prise en charge des soins au CHSLD Herron, ce dernier étant bel et bien mis sous tutelle. Cette confusion des rôles sera indéniablement la source de bien des difficultés au cours des jours suivants», dit-elle.

Le CHSLD Herron deviendra dès lors le triste symbole du grand cafouillage, tant par les propriétaires, le CIUSSS, que le MSSS.

Extrait du rapport de Me Géhane Kamel

CHSLD conventionnés et soutien à domicile

Sans surprise, la coroner Géhane Kamel pointe du doigt les CHSLD privés non conventionnés, comme l’ancien CHSLD Herron à Dorval. Elle recommande que tous les CHSLD privés non conventionnés soient transformés en CHSLD conventionnés.

«Les CHSLD privés sont malheureusement une solution non viable si on veut offrir une qualité de soins digne de ce que les personnes âgées méritent», écrit-elle.

Me Kamel souligne que les proches ont été tenus à l’écart des résidants de CHSLD pendant la première vague. Elle souligne que le soutien à domicile serait une solution envisageable.

«L’investissement dans le soutien à domicile, l’autre enfant pauvre du système de santé, est certainement une avenue à explorer», écrit-elle.

Les recommandations de la coroner Géhane Kamel

Que le gouvernement du Québec :

  • Revoie le rôle du directeur national de santé publique afin que ses fonctions soient exercées en toute indépendance et sans contrainte politique.
  • Évalue la possibilité de mettre en place un service civique volontaire d’urgence qui serait chapeauté par le ministère de la Sécurité publique, tout comme cela se voit parfois en cas de catastrophe naturelle.
  • Revoie rapidement l’offre de service à nos aînés en convertissant tous les CHSLD privés en CHSLD privés conventionnés.
  • Augmente l’offre de service pour le maintien à domicile de nos aînés.
  • S’assure d’une politique inclusive en temps de crise pour permettre qu’au moins deux proches aidants puissent visiter la personne hébergée de façon sécuritaire.
  • Implante des ratios sécuritaires professionnels en soins/résidents dans les CHSLD.
  • Rehausse, lorsque requis, le nombre de gestionnaires en CHSLD pour s’assurer de couvrir tous les quarts de travail (pouvoirs délégués de soir et de nuit.)
  • Prévoie des discussions avec les instances syndicales afin de revoir ou d’ajouter, le cas échéant, des clauses de conventions collectives permettant une disponibilité et un délestage accrus du personnel lors d’une urgence sanitaire.
  • Planifie les nouvelles infrastructures ou les rénovations des milieux d’hébergement en s’assurant que les milieux puissent répondre aux exigences requises en matière de soins de santé notamment en temps de crise sanitaire.
  • S’assure que les milieux d’hébergement puissent offrir des chambres individuelles aux résidents.

Que le ministère de la Santé et des Services sociaux :

  • Introduise le principe de précaution au centre de toute démarche d’évaluation et de gestion des risques.
  • Assure une plus grande imputabilité des gestionnaires des CISSS/CIUSSS et du ministère de la Santé et des Services sociaux quant aux soins prodigués aux personnes âgées en perte d’autonomie par le suivi d’indicateurs et une obligation d’intervention en cas de problèmes dans la qualité des soins.
  • S’assure de maintenir en tout temps l’approvisionnement nécessaire en équipements de protection en plus de prévoir des réserves pour subvenir aux besoins en cas de crise.
  • Définisse quels soins de confort les installations en CHSLD doivent minimalement être en mesure d’offrir.
  • Établisse un plan national afin de doter tous les CHSLD des équipements nécessaires pour donner ces soins.
  • Revoie les formations techniques afin que les infirmières en CHSLD et, le cas échéant, les infirmières auxiliaires soient en mesure d’effectuer les techniques nécessaires aux soins de base (soins respiratoires, accès veineux et souscutanés, utilisation des pompes volumétriques, etc.).
  • Développe un outil avec des mises en situation afin que les résidents et/ou leurs tuteurs puissent bien comprendre les implications d’un choix de niveau de soins.
  • Assure une gestion dans les CHSLD qui réunissent un gestionnaire responsable, une direction des soins infirmiers et une direction médicale.

Que les CISSS et CIUSSS :

  • Assurent dans les CHSLD la présence suffisante d’infirmières spécialisées en PCI afin que celles-ci puissent être présentes dans les opérations quotidiennes et qu’ils en assurent la pérennité.
  • S’assurent de planifier des simulations en lien avec les plans de pandémie de manière triennale.
  • Offrent de la formation quant à la tenue des dossiers médicaux et fassent des suivis périodiques.
  • S’assurent de l’encadrement nécessaire justifiant le recours aux protocoles de détresse et à la sédation palliative dans un contexte de soins aigus.

Que le Collège des médecins du Québec :

  • Revoie les pratiques médicales individuelles des médecins traitants des CHSLD Herron, des Moulins et Sainte-Dorothée, notamment quant à leur décision de poursuivre les soins en téléconsultation malgré le besoin de soutien et le très grand nombre de décès.

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