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L’itinérance féminine en trois rencontres

Photo: collaboration spéciale

L’organisme La rue des femmes fait partie de la dizaine de ressources montréalaises qui offrent aux femmes un toit, du pain et de l’écoute. Comme les autres, c’est un refuge très sollicité, qui devait refuser, en moyenne, cinq demandes d’hébergement par jour en 2008.

Cette année, c’était deux fois plus. L’esprit du lieu en trois temps et trois rencontres.

Deuxième étage, les bureaux.
Il y a 18 ans, à l’époque des débuts de La rue des femmes, sur l’avenue du Parc, les premières bénéficiaires devaient se contenter de quelques victuailles offertes par les commerçants du coin et d’un petit rond de poêle. Heureusement, la fondatrice, Léonie Couture, ne manquait pas de cœur et d’ardeur. Aujourd’hui, elle gère près de 55 employés et un budget de 2 M$ par an. Elle travaille actuellement à récolter les fonds pour ouvrir une troisième maison. Car le besoin est là.

Selon les données de la Ville, les refuges pour femmes ont débordé 24 % du temps cette année, soit deux fois plus souvent que les refuges pour hommes. La rue des femmes offre trois matelas d’urgence installés dans le couloir, près des bureaux. Ils sont toujours occupés, au point où d’autres doivent être ajoutés dans la salle de réunion du bas, voire au pied des escaliers.

On retrouve aussi 20 cham­bres offertes à moyen et à long terme. La rue des femmes ne fixe pas de délai pour quitter les lieux.

«Une femme en état d’itinérance est une personne malade, il faut qu’elle guérisse de ses maux et des blessures à son “cordon relationnel”, soit le lien avec elle-même et les autres, pour pouvoir reprendre son autonomie. Ça prend du temps et beaucoup d’écoute», dit Mme Couture.

Sous-sol, l’art-thérapie.
Parmi les réussites de l’organisme, on compte celle de Jocelyne, 66 ans. «Ici, avec Léonie et les intervenantes, les femmes retrouvent un lien d’appartenance. Elles viennent se faire chouchouter et retrouvent un peu la mère qui leur a souvent manqué», confie cette femme qui compte près de 70 démé­nagements et plusieurs nuits à la bonne étoile depuis qu’elle est «tombée» à la rue à l’âge de 38 ans. Il y a quelques années, elle a vécu une invasion de domicile et une séquestration qui lui ont fait revivre le viol qu’elle avait subi dans son enfance. Cet évènement charnière a annoncé le début de sa reprise en main et d’un long travail sur elle. Aujourd’hui, même si elle n’a pas encore renoué avec ses enfants, elle est géographiquement stable et semble capable d’un certain degré d’autoanalyse.

Après un passage à la maison Dahlia (la deuxième maison de l’organisme), où l’on s’exerce à l’autonomie, elle occupe désormais son propre logement. Une réussite pour l’organisme La rue des femmes, qui revendique un taux de stabilisation en logement de 72 % parmi les 336 femmes qui ont dormi sous son toit ces 10 dernières années.

Mais il ne faut pas forcément attendre de ces femmes qu’elles se trouvent un emploi, précise Mme Couture. Seule une minorité d’entre elles a les ressources nécessaires pour y arriver. Néanmoins, quand on réussit à stabiliser la situation des personnes itinérantes côté logement, cela limite l’engorgement des urgences, des prisons, des centres de désintoxication et des refuges, qui coûtent en moyenne 24 700 $ par an et par personne, selon une étude de l’anthropologue Karina Côté.

Un ex-sans-abri soutenu par un organisme et vivant dans un logement subventionné coûte en comparaison 12 000 $ annuellement.

Rez-de-chaussée, la cuisine.
L’écoute, c’est le travail d’Emmanuelle Poitevin, qui fait partie des 55 intervenantes de la maison Olga, la première maison fondée par La rue des femmes. Elles aident les occupantes de la maison, mais aussi la quarantaine de participantes extérieures qui viennent chaque jour y prendre un repas gratuit, récupérer des vêtements, suivre les ateliers d’art-thérapie ou discuter de différentes problématiques telles que la toxicomanie, le jeu compulsif ou d’autres problèmes de santé mentale. Selon une étude publiée en 2012 par le Conseil du statut de la femme, une Montréalaise en état d’itinérance cumule en moyenne trois de ces problématiques.

«Vu ce qu’elles ont vécu, il faut un certain temps pour qu’elles arrivent à nous faire confiance et à se raconter», indique Mme Poitevin. Quasiment toutes les femmes qu’elle a rencontrées depuis 13 ans ont vécu, plus jeunes, des agressions sexuelles et d’autres formes d’abus. Certaines sont, depuis, incapables de rester seules la nuit ou de dormir la porte fermée. D’autres extériorisent leur souffrance et leur colère par la violence ou par des crises. «Au début, on comptait trois ou quatre crises par jour. Mais depuis, les femmes ont beaucoup mûri. Cette année, pour la première fois en 13 ans, j’ai vu deux participantes organiser une fête d’anniversaire pour une troisième», note-t-elle avec une pointe d’émotion.

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