Bruce Jenner donne l’exemple
Vendredi dernier, Bruce Jenner brisait l’internet en confirmant à l’intervieweuse Diane Sawyer ce que plusieurs publications à potins avaient laissé entendre dans les derniers mois: le champion olympique et patriarche du clan Kardashian est en réalité une femme. Des milliers de messages d’appui ont instantanément fusé sur l’internet, dont ceux des dix enfants de Jenner, tous fiers de leur papa.
Plusieurs membres de la communauté trans appréhendaient cette entrevue de deux heures, annoncé à grand renfort de publicités. Allait-elle se transformer en freakshow? Allait-on mégenrer (appeler une personne trans par les pronons qu’elle rejette) Bruce Jenner? Allait-on mettre l’accent sur les aspects génitaux de sa transition? Surtout, allait-on occulter le fait qu’au sein de la communauté trans, Jenner fait partie des privilégiés qui peuvent payer les chirurgies nécessaires à sa transition?
Au final, bien qu’imparfaite, l’entrevue a fait beaucoup pour la cause des personnes trans. L’importance d’utiliser les bons pronoms a clairement été expliquée au moment où on précisait que Jenner préférait – c’est un choix personnel – qu’on continue pour le moment à utiliser le masculin en ce qui le concerne. Bruce Jenner a pris le temps d’évoquer les enjeux qui touchent la communauté trans, et spécifiquement les femme trans de couleur. Il a parlé des sombres statistiques – de meurtres et de suicide – qui touchent cette communauté. Il a reconnu être privilégié.
L’intervieweuse est vite passée sur le sujet – on le lui aurait reproché si elle ne l’avait pas fait – des chirurgies. Elle a passé beaucoup plus de temps à s’étonner du fait que les personnes transgenres étaient différentes des travesties et à clarifier que l’identité de genre n’avait rien à voir avec l’orientation sexuelle. Voilà qui était très éducatif, j’en suis certaine, pour une majorité d’Américains. Dix-sept millions de téléspectateurs ont regardé ce coming-out qui passera certainement à l’histoire.
Mais c’est sur le plan des valeurs que l’interview de Bruce Jenner aura l’effet le plus prégnant. Pour plusieurs raisons. Bruce Jenner est la vedette d’une des émissions de téléréalité les plus populaires. Aux États-Unis, Keeping up with the Kardashians ne laisse personne indifférent et réussit à capter l’attention tant des classes populaires, qui aspirent à atteindre ce nouveau rêve américain (être connu pour être connu) que de l’intelligentsia qui ne peut s’empêcher de regarder le feuilleton en prétextant que c’est pour mieux le juger. L’émission qui met à l’avant plan les valeurs familiales traditionnelles plaît en particulier à un segment conservateur de la population. D’ailleurs, Jenner n’a pas caché être croyant et d’allégeance républicaine durant l’entrevue. Parmi les personnes qui ont soutenu sa transition auprès de sa famille se trouve son gendre Kanye West – icône macho s’il en est – qui aurait emmené sa conjointe Kim Kardashian a accepter la réalité de son père.
Tous ces facteurs confirment son impression d’être «venu sur terre avec une mission», celle de prêcher la tolérance, et pas nécessairement à des convertis. Celui dont on suivra la transition dans une série documentaire diffusée à partir de juillet a d’ailleurs affirmé avoir l’intention de faire changer les choses auprès des politiciens conservateurs.
Conscient de tout l’impact qu’il peut avoir, Bruce Jenner n’a pas reculé devant ce devoir de porter la cause trans en devenant de facto vendredi soir la personne trans la plus visible aux États-Unis. Il s’est visiblement informé sur les différentes réalités trans afin d’en devenir un porte-parole positif.
Pendant ce temps, dimanche, à notre gala Artis, festival du consensus québécois, des vedettes continuaient de cacher leur orientation sexuelle – c’est leur choix, mais franchement, en 2015, on parle d’une banalité – un animateur de tapis rouge demandaient aux hommes s’ils avaient payé pour la robe de leur compagne, comme pour nous rappeler que les femmes gagnent encore 75% du salaire des hommes, et un acteur se faisait chicaner par un politicien pour avoir déclaré être «contre l’austérité», faisant de la peine à tous ceux qui l’aiment et qui ne sont pas d’accord avec lui.
On dit souvent que les Québécois n’aiment pas la chicane et les malaises, mais si les américains conservateurs sont prêts à accepter d’être bousculés aussi profondément dans leurs valeurs, je pense qu’au Québec, nous pourrions aussi tendre vers un peu plus de remous. C’est pas mauvais, les remous.