Vote à visage découvert: le Bloc réagit
SHERBROOKE, Qc — Le Bloc québécois veut se poser comme l’unique défenseur des «valeurs québécoise» dans le débat sur le vote et les cérémonies d’assermentation à visage découvert.
Alors que la Cour d’appel fédérale a donné raison mardi à Zunera Ishaq, une Pakistanaise d’origine qui souhaitait porter le niqab au cours de sa cérémonie de citoyenneté, le chef bloquiste a jugé que seules ses troupes étaient à même de défendre les valeurs québécoises dans ce dossier.
«Les hommes et les femmes au Québec ne veulent pas que les femmes s’effacent de l’espace public», a-t-il lancé mardi lors d’un cocktail de financement dans un vignoble de Sherbrooke.
Le parti conservateur a affirmé que, s’il était reporté au pouvoir, il présenterait un nouveau projet de loi pour s’assurer que les assermentations soient effectuées à visage découvert. Mais M. Duceppe a des doutes, compte tenu de l’argumentaire de l’avocat du fédéral, qui avait plus tôt dans la journée plaidé que le gouvernement n’avait jamais voulu rendre obligatoire de se dévoiler le visage. M. Duceppe voit ce plaidoyer comme un changement de cap des conservateurs, qui «se sont aperçus qu’ils sont en train de perdre Toronto».
«Il y a trois partis qui vont venir tenter de vous dire : « nous, on défend les valeurs québécoises ». Mais ce n’est pas vrai ça. Dans les valeurs québécoises, il n’y a pas une telle chose que de s’effacer de l’espace public. On n’acceptera jamais ça», a lancé M. Duceppe à ses militants.
Libéraux et néo-démocrates sont tous deux en accord avec le port du niqab au cours des cérémonies d’assermentation.
Intervention militaire
Plus tôt dans la journée, M. Duceppe avait surtout parlé de politique étrangère. Il arrive dans l’histoire du monde des moments où l’on n’a pas d’autre choix que d’intervenir militairement, et la situation en Syrie et en Irak est de ceux-là, croit Gilles Duceppe. Le chef bloquiste pousse la note et affirme qu’un Québec indépendant aurait choisi de participer à l’actuelle mission contre le groupe armé État islamique.
En défendant les frappes aériennes dans cette région du Moyen-Orient, M. Duceppe adopte une position différente de celle qu’il avait prise en 2003 — il était alors contre l’intervention militaire du Canada en Irak — et contraire à celle de son parti le printemps passé.
Selon M. Duceppe, ce sont les visées expansionnistes du groupe islamiste radical qui justifient une intervention des forces canadiennes. «Je pense que c’est là, la différence majeure», a-t-il soutenu en point de presse à Sherbrooke, mardi. Le Canada a déployé des militaires sur place pour s’occuper de logistique et de formation des forces locales, et il prête des avions qui servent notamment à bombarder des cibles terroristes.
Les forces canadiennes ont eu tort de ne pas intervenir au Rwanda, où s’en est suivi un génocide, a-t-il rappelé. «Il arrive dans l’histoire où il n’y a pas d’autre choix que d’intervenir de façon militaire. C’est malheureux, mais c’est comme ça.»
Quant à la possibilité de déployer des troupes au sol, M. Duceppe juge qu’il «n’a pas les éléments pour parler de ça».
Qu’il aligne sa vision à celle de Stephen Harper peut étonner, d’autant que ses députés Louis Plamondon et Claude Patry avaient voté en mars contre le prolongement de la mission canadienne contre l’EI en Irak et son élargissement à la Syrie. Son adversaire principal au Québec, le chef néo-démocrate Thomas Mulcair, mettrait fin quant à lui à l’intervention militaire s’il était porté au pouvoir le 19 octobre.
Aux yeux de M. Duceppe, cette prise de position est mal avisée.
«Les frappes aériennes auxquelles nous participons visent à contenir l’État islamique et, espérons-le, à les repousser dans leurs derniers retranchements, a soutenu le chef bloquiste plus tard en journée à l’Université de Sherbrooke. On ne peut pas prétendre que les frappes aériennes ne règlent rien.»
Dans un auditorium rempli à craquer d’étudiants venus l’entendre discourir sur la souveraineté et la politique étrangère, il s’est même risqué à un peu de politique-fiction, en imaginant qu’un Québec souverain aurait choisi de participer à la mission contre l’EI.
«Je suis convaincu qu’un Québec indépendant ferait partie de la coalition qui combat ce groupe qui commet des crimes contre l’humanité. Même si nous avons tous la guerre en horreur, le Québec ne peut pas et ne doit pas se défiler de cette responsabilité», a-t-il lancé.
Bain de foule
Au moins 200 étudiants avaient profité de leur pause du dîner pour écouter M. Duceppe et lui poser des questions. La salle était en grande partie conquise, mais certains jeunes ont avoué s’interroger sur la pertinence de voter pour le Bloc québécois cette campagne-ci.
«Je veux voter pour vous M. Duceppe, je crois vraiment en le message souverainiste, mais j’ai vraiment peur des conservateurs», a lancé Julien Beaulieu, 21 ans. L’étudiant en droit, qui votera pour la première fois aux élections fédérales cet automne, craint que la division du vote permette aux troupes de Stephen Harper de l’emporter à nouveau.
M. Duceppe lui a rappelé qu’il n’y avait que cinq députés conservateurs qui avaient été élus au Québec en 2011 et que la division du vote était l’affaire des autres provinces. Le jeune homme n’a pas paru convaincu, confiant plus tard à La Presse Canadienne qu’il hésitait encore à voter pour le Nouveau Parti démocratique (NPD).
À la cafétéria où il a serré de nombreuses mains, M. Duceppe a été bien accueilli, mais plusieurs étudiants lui ont révélé qu’ils n’avaient pas encore fait leur choix.
Le chef bloquiste a également fait campagne dans une librairie de Sherbrooke mardi, où il a proposé d’abolir la TPS sur les livres.