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Guillaume Lambert: l’effet miroir

Photo: Josie Desmarais

Alex est vendeur immobilier. Il joue au football, va bientôt épouser sa jolie fiancée. Vie parfaite, vie rangée. Vie rêvée. Mais peut-être pas forcément par lui? Avec sa websérie sur l’identité, qui possède son identité propre, Guillaume Lambert explore le passage à L’âge adulte qui tarde à arriver ou que l’on repousse volontairement. C’est drôle, rythmé à la seconde, rempli de clins d’œil (notamment à Arrival) et mené par l’idée «on cligne des yeux trois fois et c’était ça la joke». Oh. Vous ne l’avez pas vue passer?

L’âge adulte, c’est une websérie sur ce que laisse supposer le titre. Ce moment où on devient enfin grand, responsable, sûr de soi. En fait, non. Pas encore. Peut-être jamais. Pour l’instant, en tout cas, les personnages sont coincés dans cet entre-deux flou : quelque part entre la vingtaine et la trentaine. Pas convaincus de vraiment vouloir en sortir. Sitôt qu’ils le font, ils meurent d’envie de retourner en arrière. «J’suis tanné d’être un adulte. J’suis pas bon, on dirait.»

À 33 ans, Guillaume Lambert n’est pas tanné. «Je suis beaucoup plus groundé que les protagonistes que je crée. Je ne sais pas ce que veux, mais je sais ce que je ne veux pas. Dans ma vie comme dans ma façon d’écrire.»

Cette façon d’écrire, on l’a aimée dans son premier roman, paru en 2015, Satyriasis : mes années romantiques. Un monologue où il jouait avec les codes de l’autofiction et où on trouvait, malgré le sombre, des touches de sourire. Dans Toutes des connes aussi, court métrage qu’il avait scénarisé et que François Jaros avait mis en images l’année précédente.

C’est ce dernier qui réalise la websérie de Guillaume. Pas pour rien. Outre son œil et son talent, «il comprend son humour.» Son rapport à la nostalgie aussi. Les retrouvailles du secondaire, cette discussion dont on veut se sauver avec la fille qui habite avec ses cochons d’Inde faute d’avoir trouvé un copain.

Mais au-delà de ces thèmes, c’est surtout l’identité, sa quête, personnelle, sexuelle, que Guillaume, membre de la populaire bande de Like-moi, a voulu sonder. Pour ce faire, il a imaginé une famille. Un père, qui vit son propre retour à l’adolescence, mais qui, grand cœur, accueille ses trois enfants plus tant enfants chez lui dans les lits jumeaux et leurs chambres de quand ils étaient petits.

Il y a la Lucille-Maude (incarnée par Sarah-Anne Parent), qui aurait préféré s’appeler Josiane. Qui porte des t-shirts «Je suis à l’aise avec ma sexualité». Qui, tannée, largue son «ark ark ark un linguiste» de petit ami, qui aime beaucoup trop lui expliquer le mot «embrouillamini».

Puis Tom, son frère, qui se découvre soudain un attrait pour la mère porteuse de l’enfant qu’il désire élever avec son conjoint.

C’est Guillaume Lambert qui joue ce personnage «stoïque, sous l’emprise de son chum, pas particulièrement sympathique». Qui lance des répliques telles : «Yo, on n’est pas en 2006. On est gai, straight ou bi, mais c’est out, d’être bicurieux.»

Leur frère à eux deux, joué par Mickaël Gouin, est quant à lui plongé dans le coma après avoir subi une commotion cérébrale par «un jour d’avril qui ressemble à un novembre» sur le terrain de football («je viens de Sorel et l’équipe de foot prend beaucoup de place!» note Guillaume). Le choc. Quand il se réveille, il ne ressent plus rien pour sa fiancée. Tout pour l’infirmier qui réarrange ses oreillers et sa couverture. Plus question de se marier. Il le sent, il le sait, il est homosexuel. Enfin lui-même.

Cette prémisse qui pourrait sembler farfelue, Guillaume Lambert l’a documentée. «J’ai fait des recherches avec des médecins, des sexologues, une psychologue.» Il a découvert ainsi que dans certains cas de traumatisme, «le lobe frontal est atteint, ce qui mène le patient à s’émanciper».

Dans sa série, ce n’est pas que le patient en question qui s’émancipe. Ce sont tous ses proches qui se voient poussés à sortir d’une certaine torpeur.

Dont l’ami «responsable» de la commotion, incarné par Fayolle Jean Junior, qui décide soudain de faire une grande déclaration à ses collègues de chantier mal engueulés : «Fuck off, j’suis tanné. Je rêve d’un monde où on va s’en crisser de qui est fif, de qui est moumoune, de qui est tapette. J’suis tanné de ce langage d’arriéré mentaux.» Tandis qu’une musique grandiloquente se fait entendre, un de ses compagnons de la construction lui lance : «On ne peut pas dire arriéré mentaux, Max.»

À son évocation, Guillaume Lambert note qu’il s’agit d’une de ses répliques préférées. «Tout le monde, à un moment donné, peut se mettre le pied dans la bouche. Je pense que c’est dans l’acceptation et dans le vivre-ensemble que se trouve la solution.»

«Je voulais que la série soit universelle. Qu’elle ne parle pas uniquement de la communauté LGBTQ. Qu’elle ne soit pas hermétique. Car finalement, ça touche tout le monde de se chercher.»

Ce qu’on trouve dans cette websérie : quelques secondes du Boomerang de Kevin Parent dans une scène de karaoké («Je voulais que quelqu’un dise KMart», précise Guillaume). Et la Sweet Jazz Music du pianiste de La Nouvelle-Orléans Jelly Roll Morton, qui rythme l’ensemble, y ajoutant «un côté Woody Allenesque». Surtout dans ces scènes où les personnages sortent de l’appart, descendent, montent les marches.

Eh oui, comme l’observe le scénariste : «C’est très cinématographique.» Très montréalais aussi? «Oui pis non. J’ai un grand amour pour Montréal. L’idée de la série est née au parc Bellerive. L’été, avec les bateaux qui passent, les usines pas loin, c’est magnifique. J’avais le goût que ça se passe au bout de la ligne verte, autour de Honoré-Beaugrand. Là où le personnage de Lucille-Maude sort du métro en faisant ark caca ark caca.»

Une expression qui pourrait faire lever les sourcils, mais qui a sa signification : «Quand je dis une grosse vérité ou que j’atteins la catharsis avec l’émotion, je la casse.» Ainsi, lorsqu’à l’écriture Guillaume sent qu’un moment pourrait devenir trop lourd, qu’une larme s’est formée au coin de l’œil, qu’on la balaie du revers de la main, mais qu’elle risque de se transformer en flot de sanglots, il utilise sa méthode «blague de pet». «Mon inspiration vient de films comme Juno, de l’écriture de Diablo Cody, de Lena Dunham. Que l’histoire vienne du dialogue, j’aime ça. Quelque chose de très très simple. Un récit, des personnages forts. Du monde mêlé ensemble. C’est tout.» Et ça fonctionne.

L’âge adulte
Huit épisodes produits par pixcom et disponibles pour visionnement, gratuitement, sur tou.tv

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