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«Bonne retraite Jocelyne»: Quand tout le monde ajoute son grain de sel

Photo: Collaboration spéciale

En écrivant sa plus récente pièce, Bonne retraite Jocelyne, Fabien Cloutier cherchait à comprendre certains travers qui caractérisent les comportements humains de notre époque, comme l’indélicatesse, l’hyperindividualisme et cette manie d’avoir une opinion sur tout.

«Ce sont des gens qui veulent avoir raison. Tout le monde souhaite avoir le dernier mot», affirme le dramaturge à propos de ses neuf personnages.

Jocelyne (interprétée par Josée Deschênes) réunit ses enfants, frères et sœurs, neveux et nièces, pour leur annoncer une grande nouvelle : elle a décidé de prendre sa retraite.

Cette annonce n’est qu’un prétexte de l’auteur pour rassembler cette famille de la classe moyenne le temps d’une soirée, au cours de laquelle la tension escaladera au point de faire exploser le noyau familial.

Bonne retraite Jocelyne explore des travers qu’observe de plus en plus Fabien Cloutier dans la population. «Ça parle beaucoup d’indélicatesse. On la ramène souvent aux réseaux sociaux, mais elle existait déjà; là, on lui a donné du Red Bull», illustre-t-il.

Le jugement, le manque d’écoute et d’altruisme ainsi que le besoin d’ajouter son grain de sel à tout sont quelques traits de cette famille, dans laquelle le public saura se reconnaître à différents degrés.

«On a souvent la certitude qu’on détient la connaissance, qu’on a raison et que les autres ont tort, sans reconnaître qu’on peut avoir des opinions divergentes. On finit par se donner une supériorité morale.»

Avec Bonne retraite Jocelyne, Fabien Cloutier souhaite aussi dénoncer l’hyperindividualisme de notre époque.

«On a dépassé depuis longtemps le simple individualisme», dit-il. Par exemple, en apprenant que sa mère prend sa retraite, sa fille lui répond d’emblée: «Mais là, tu vas être correcte pour nos études?» «Elle a tout de suite peur pour elle, analyse le metteur en scène. Elle se dit: “T’es heureuse, mais moi?” Elle n’est même pas capable de lui dire bravo. Elle pense: “Est-ce que le bonheur de cette personne va nuire au mien?” C’est de l’individualisme à outrance.»

Ce trait s’exprime aussi dans la façon dont certains personnages sont convaincus d’être entièrement redevables à eux-mêmes de leur succès. «Cette idée que tout ce qu’on a dans la vie vient nécessairement de nous. Comme si des gens refusaient le rôle des conditions socio-économiques, qui peuvent expliquer la réalité de certaines
personnes. Ça donne des gens qui ne sont pas en position de vouloir aider les autres.»

«Pourquoi des gens qui devraient être proches les uns des autres finissent par se dire des méchancetés qui n’ont pas de sens? Pourquoi ont-ils besoin d’être en désaccord à ce point-là? Peut-être parce que c’est ainsi qu’ils se sentent exister.» — Fabien Cloutier, auteur de Bonne retraite Jocelyne

Lorsqu’on lui demande s’il aime ses personnages, Fabien Cloutier répond sans hésiter, en riant: «Ben oui, je les aime toujours. J’essaie de trouver en quoi ils sont aimables malgré tout. Et si on ne les aime pas, si on les trouve détestables, il faut se demander pourquoi ils sont comme ça. C’est là que le théâtre fait sa job. En se questionnant, peut-être que le public fera un petit examen de conscience.»

Dans le premier acte de la pièce, Jocelyne et sa famille jouent à faire deviner le nom d’une personnalité connue à une équipe adverse. Une façon pour Fabien Cloutier d’aborder certains thèmes, dont notre rapport à la célébrité.

On rit de bon cœur lorsque Jocelyne dit, à propos de James Hyndman: «Je l’aime assez, c’t’acteur-là, j’aime la forme de son menton.»

Et on rit jaune quand un autre personnage donne comme indice: «Le le le. L’animateur. Celui qui se sortait» pour décrire Éric Salvail, qui a été visé par des allégations d’inconduite sexuelle l’an dernier.

«La société vit des moments comme ça, qui finissent quasiment par entrer dans la mythologie, explique Fabien Cloutier. Chaque société a ses figures: le rockeur, le sex-symbol… Lui, c’est devenu “celui qui se sortait”.»

Au fur et à mesure que la soirée avance, les remarques que se font les personnages deviennent de plus en plus mesquines pour finalement devenir carrément méchantes.

En lui demandant s’il n’y a pas un parallèle à faire avec Les belles-sœurs de Michel Tremblay, qui, rassemblées dans une cuisine, finissent par se dire leurs quatre vérités, Fabien Cloutier se réclame plutôt de Serge Boucher, particulièrement de sa pièce 24 poses (1998), qui porte aussi sur une réunion de famille.

«C’est peut-être plus lui. C’est une dramaturgie que j’aime beaucoup. J’avais vraiment l’impression en m’en allant dans un portrait de famille que j’allais casser mes bases de travail habituelles. Cette pièce-ci est plus épidermique», ajoute-t-il.

Tout au long de la pièce, les neuf personnages parlent les uns par-dessus les autres, s’interrompent et tiennent plusieurs conversations en parallèle. Un défi de taille pour les comédiens, qui ont le mandat de livrer cette cacophonie le plus naturellement possible.

«On dit au théâtre qu’on met le public à la même place que les personnages. J’ai essayé de faire ça ici, pour que le public ait le temps d’aller capter chacune des conversations. Ça va très vite, c’est costaud pour les acteurs», indique Fabien Cloutier, saluant au passage leur professionnalisme et leur dévouement.

Le hasard fait parfois bien les choses. Ici, il a fait en sorte que Bonne retraite Jocelyne soit présentée une semaine après l’élection d’un gouvernement caquiste majoritaire. «La pièce arrive à un bon moment, mais ce n’est pas une pièce sur les électeurs de la CAQ», met en garde son auteur.

D’ailleurs, les personnages ne parlent à aucun moment de politique. «Leur côté politique passe par l’argent, leur réussite. C’est ça pour eux, la politique.»

Ils se permettent néanmoins certains commentaires à saveur sociale, souvent d’une absurdité déridante. Par exemple, Brigitte (jouée par Brigitte Poupart), la sœur de Jocelyne, se plaint que le zoo qui emploie son neveu soit «payé avec nos impôts» et que les personnes autistes ne travaillent pas.

«La tendance du moment, c’est: “Remets-tu de l’argent dans mes poches pour que je décide moi-même ce que j’en fais?”» commente Fabien Cloutier, spécifiant que ce phénomène n’est pas propre au Québec. Selon lui, cet hyperindividualisme s’explique par l’absence d’un projet de société porteur. Sans être cynique (même si «c’est dur de ne pas l’être»), il admet que la dernière campagne électorale l’a quelque peu découragé.

Refusant l’apathie pour autant, le dramaturge fonde son espoir sur les jeunes. «Je vais les laisser porter ça un peu et j’embarquerai à un moment donné, parce que je refuse de devenir cynique.»

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