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Marie Chouinard: quand la création tombe des nues

Photo: Josie Desmarais/Métro

«C’est tellement le fun, les voies de la création. On ne sait jamais comment arrive une œuvre!» Celles de la chorégraphe et danseuse Marie Chouinard se manifestent à elle plus souvent qu’autrement comme une étincelle. Ce fut le cas pour deux de ses chorégraphies qui seront présentées la semaine prochaine à l’Usine C, Les 24 Préludes de Chopin et Henri Michaux: Mouvements.

Rencontrée dans son studio de danse inondé de soleil, Marie Chouinard prend d’emblée la pose avec sourire et aisance pour notre photographe. Puis, elle s’installe sur un divan, d’où on a une superbe vue sur le mont Royal enneigé, et se prête avec enthousiasme au jeu de l’entrevue.

Les 24 Préludes de Chopin et Henri Michaux: Mouvements, créées respectivement en 1999 et en 2011, ont en commun d’être parmi les rares chorégraphies de Marie Chouinard à être inspirées d’œuvres existantes.

Leur titre l’indique on ne peut plus clairement. La première découle de la musique du célèbre compositeur et pianiste polonais. La deuxième a pris forme dans les images du livre illustré Mouvements, de l’artiste multidisciplinaire français Henri Michaux.

«Parmi la production d’une centaine de pièces que j’ai faite, il y en a seulement cinq qui viennent d’œuvres existantes. C’est plus rare dans mon parcours. Habituellement, je crée à partir de la feuille blanche», réfléchit l’artiste, coiffée d’une tuque noire par-dessus ses éternels longs cheveux blonds.

La chorégraphe dont une quinzaine d’œuvres sont présentées simultanément aux quatre coins de la planète se réjouit que l’Usine C ait sélectionné ces deux pièces pour les présenter en programme double. «Je les adore. Surtout Henri Michaux. Peut-être parce qu’elle est plus récente… Je l’aime vraiment beaucoup!» dit-elle tout sourire.

«Ce qui compte, c’est la connexion. C’est de sentir que les choses sont alignées. C’est la beauté quand tous les éléments se rassemblent, se conjuguent, puis s’unissent pour former une chose qui est complètement autre, qui donne un nouveau souffle.» –Marie Chouinard, chorégraphe

Qu’est-ce qui lui plaît dans cette pièce, exactement? «J’aime tout! J’adore la musique de Louis Dufort, j’adore la scénographie… J’aime sa drive. Il y a une charge très forte. C’est comme une machine infernale qui se met en branle et qui continue jusqu’à la fin», décrit-elle en gesticulant.

Soudain, d’un mouvement rapide, Marie Chouinard se lève pour aller chercher son exemplaire de Mouvements, daté de 1951, reçu en cadeau du sculpteur Klaus Rinke en 1980.

«Ce n’est pas tout le monde qui voit ça! lance-t-elle en sortant l’ouvrage de son enveloppe de plastique protectrice. Tu vois toutes les planches, on les retrouve dans le spectacle. C’est vraiment comme des corps de danseurs. Regarde ça!» s’emballe-t-elle de plus belle en pointant les illustrations.

En effet, chacun des nombreux dessins abstraits qui noircissent les pages de l’ouvrage s’apparente à des corps de danseurs en mouvement.

Pourtant, ce bouquin a passé 25 ans dans la bibliothèque de Marie Chouinard avant que l’évidence lui saute aux yeux. «Pendant des années, je l’ai regardé, et tout à coup, en 2005, je me suis dit: “Aaaaaah! C’est une partition chorégraphique.” Je n’avais qu’à la suivre.»

Une chorégraphie a d’abord été conçue en solo, interprétée par Carole Prieur en 2005. Puis, en 2011, le spectacle a été monté avec une troupe de danseurs. C’est cette version qui sera présentée à Montréal la semaine prochaine.

Marie Chouinard a été frappée par le même éclair créatif il y a près de 20 ans, lorsqu’elle a chorégraphié Les 24 Préludes de Chopin. «C’était une musique que mon chum faisait toujours jouer chez nous quand j’étais enceinte de mon fils, se souvient-elle. Je l’entendais et je l’aimais.» Sans plus.

Jusqu’à ce qu’un jour, elle écoute l’œuvre avec son oreille de chorégraphe. «Je me suis dit: “Non non non! Je ne vais pas chorégraphier Les 24 Préludes de Chopin!”», lance-t-elle dans un éclat de rire.

Oui oui oui, c’est bien ce qu’elle a fait. Lors d’une promenade à Québec, sur les plaines d’Abraham désertes et enneigées, l’œuvre a pris forme dans son esprit.

«Je marchais avec mes écouteurs – dans ce temps-là, on avait des discman! –, j’avais mon discman dans la poche de mon grand manteau d’hiver, et à chaque prélude qui arrivait, j’avais un flash! Pfiouuuuuu! Tchiooouu! C’était fou!» raconte-t-elle en remuant les bras.

40 ans de carrière
Lorsqu’on lui fait remarquer que 40 ans se sont écoulés depuis son premier solo en 1978, Marie Chouinard nous regarde, l’air incrédule. «Ça fait 40 ans cette année?» dit-elle presque en chuchotant.

Puis, elle compte sur ses doigts, comme si ça ne se pouvait pas. «1978, 1988, 1998, 2008, 2018… Ben oui, ça fait 40 ans», s’exclame-t-elle alors dans un grand éclat de rire.

Quel bilan fait-elle de ces quatre décennies? «Je ne fais pas de bilan, moi, je fais juste voir en avant. Je vois les 40 prochaines années. J’ai l’impression que mes plus belles pièces sont devant moi.»

La retraite n’est assurément pas dans ses plans. «Non non non! C’est trop le fun!» dit celle qui prend toujours autant de plaisir à danser.

En quatre décennies, le milieu de la danse a énormément changé au Québec, et pour le mieux, assure-t-elle. «Il y a 40 ans, on ne pouvait pas voir un spectacle de danse par soir à Montréal, comme c’est le cas aujourd’hui.»

Sans hésiter, Marie Chouinard qualifie la métropole de «capitale de la danse dans le monde». Elle se réjouit par ailleurs de la qualité de l’offre dans ce domaine. «On est vraiment gâtés», ajoute-t-elle en énumérant les diverses troupes et scènes qui font rayonner cet art.

Dans le cadre de ses fonctions de directrice de la Biennale de la danse de Venise, qu’elle occupe depuis 2017, elle a par ailleurs permis à bon nombre d’artistes québécois de se produire  à l’étranger. «Je les invite simplement parce qu’ils sont parmi les meilleurs au monde», précise-t-elle.

Même si elle est une figure incontournable du milieu depuis des décennies, Marie Chouinard n’a pas considéré la danse comme une carrière avant 1992, soit après 14 ans de métier. «À chaque fin de projet, je me demandais: “Quand est-ce que je vais arrêter? Quand est-ce que je vais trouver ce que je vais faire dans la vie?”»

«Là, je ne me le demande plus! dit-elle en riant. J’étais tannée d’avoir des crises d’angoisse existentielle. Je me suis dit: “Tu vas être chorégraphe jusqu’à ce que tu aies 103 ans 105 ans, ou 107 ans”. Depuis, je n’ai jamais rouspété.»

Les 24 Préludes de Chopin et Henri Michaux: Mouvements sont présentées à l’Usine C en programme double du 4 au 8 décembre.

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