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Speed Glue: revoir les règles du jeu (et du monde)

Speed Glue, mettant en vedette Antoine Bernadet et Edward Ly, sera présenté du 1er au 4 juin au Théâtre La Chapelle dans le cadre du FTA. Photo: Collaboration spéciale

Antoine Bernadet et Edward Ly sont champions canadiens de ping-pong. Sur scène, ils ne joueront pas l’un contre l’autre, mais plutôt l’un avec l’autre. La performance Speed Glue dont ils sont les interprètes est l’occasion de réfléchir aux concepts d’échange et de compétition.

Lors de ce match amical, les deux athlètes devront respecter quatre consignes : 1) Tenter de faire circuler la balle le plus longtemps possible; 2) Moduler la vitesse de sorte que l’échange puisse durer; 3) Maintenir l’intérêt; 4) Il est permis de rater la balle. Il suffit alors de reprendre le jeu.

Autant dire le contraire de ce qu’ils doivent faire dans un tournoi de haut niveau. Ici, l’adage «l’important n’est pas de gagner, mais de participer» prend tout son sens.
Le tennis de table permet au tandem créatif formé de la chorégraphe Dorian Nuskind Oder et de l’artiste multidisciplinaire Simon Grenier-Poirier d’aborder avec légèreté des concepts comme la concurrence et le capitalisme.

«Dans le ping-pong, il y a un côté hyper technique et compétitif chez les joueurs professionnels, mais aussi un côté associé au loisir, comme lorsqu’on y joue en famille. On apprécie ce sport pour cet équilibre entre le sérieux et le ludique, qui fait écho à la façon dont on aborde notre pratique artistique», détaille Dorian Nuskind Oder.

Ce sport olympique est arrivé un peu par hasard dans leur création. Au départ, le duo avait en tête trois notions : l’échange, la valeur et l’intérêt. «On trouvait que ces mots avaient des échos dans plusieurs champs de recherche, dont les arts et la finance», relate-t-elle.

Le ping-pong s’est immiscé dans leur réflexion par la simple présence d’une table de jeu dans le studio de Simon Grenier-Poirier. «Au début, on parlait tout en jouant», résume sa collègue.

«L’essence du projet était de changer les règles pour créer quelque chose de nouveau.» Simon Grenier-Poirier

Puis, au cours d’un séjour en Allemagne, le tandem s’étonne de voir partout des tables de ping-pong : dans les bars, dans les parcs, etc. ll approfondit alors ses recherches sur ce sport. «On a réalisé qu’il y avait plusieurs liens politiques à faire», poursuit la chorégraphe, donnant en exemple la «diplomatie du ping-pong», qui a donné un nouveau souffle à la relation entre la Chine et les États-Unis dans les années 1970.

Le fait d’être à Berlin, capitale de la rivalité entre les systèmes communiste et capitaliste dans les années 1980, a également teinté leur démarche. «Avec la chute du mur de Berlin, ce fut l’écroulement de l’idéal communiste et de ce monde caractérisé par l’antagonisme de deux forces égales, explique-t-elle. Depuis ce moment, le capitalisme est devenu la seule option viable. Ça a nourri notre réflexion sur la question d’échange, de la binarité d’une compétition, dans laquelle ça prend un perdant et un gagnant.»

Sur scène, il n’y aura pas de perdant, mais plutôt deux gagnants au terme des 30 minutes d’échange, ce qui pourrait être déstabilisant pour les deux athlètes formés pour la compétition.

Pas de pointage à suivre non plus, les spectateurs pourront se concentrer entièrement sur les joueurs «en tant qu’êtres humains», comme dans un spectacle de danse, en suivant leurs mouvements, leur rythme et leur posture. «Ça permet le déploiement d’une certaine prouesse, de tactiques et de stratégies, pas dans le but de battre l’autre, mais dans celui de demeurer engagé dans le processus», commente Simon Grenier-Poirier.

L’échange ne se limite pas au va-et-vient de la petite balle blanche entre les raquettes des pongistes; il se trouve également dans les racines du projet. La performance sportive a nourri la performance artistique et vice-versa.

«En collaborant avec des athlètes, on a établi des liens entre nos deux disciplines, analyse l’artiste. Quand on y pense, la pratique d’un sport n’est pas bien différente de celle d’un art. Bien sûr, la nature des activités est différente, mais dans l’approche, dans la discipline et dans les stratégies déployées, c’est assez similaire. Les joueurs aussi ont remarqué ça.»

Colle de vitesse
Speed Glue, le titre du spectacle, est emprunté au nom de la colle apparue sur les modèles de raquette à la fin des années 1990. Celle-ci a permis d’accélérer la vitesse du jeu professionnel et de le rendre encore plus spectaculaire. Le tandem y voit une analogie avec le système capitaliste, qui vise la croissance à tout prix.

«Et on pourrait même pousser la métaphore un peu plus loin, indique Dorian Nuskind Oder. Tout va de plus en plus vite, au point où les spectateurs ne peuvent plus suivre les matchs s’ils ne sont pas connaisseurs. Il y a des liens à faire avec d’autres milieux, comme celui de l’information. On a l’impression que le cycle de nouvelles va tellement vite et est tellement compliqué qu’on ne peut presque plus le suivre.»

Mais loin d’eux l’idée de proposer une solution de rechange au système capitaliste. «Évidemment, on n’a pas espoir que cette œuvre change le monde, mais on veut explorer d’autres idées, explique Simon Grenier-Poirier. On change les règles et ça nous amène à quelque chose de nouveau qui est tout de même tiré du passé.»

Dans le même ordre d’idées, les deux créateurs ne souhaitent pas non plus mettre fin à l’existence de la compétition, qui n’est pas mauvaise en soi. «On peut être en compétition avec soi-même, vouloir devenir meilleur par intérêt et non pas pour battre les autres dans un rapport de domination», poursuit-il.

Tant dans le sport qu’en politique, la compétition peut être saine lorsqu’on respecte les règles établies. D’un côté comme de l’autre, les intentions sont nobles. «C’est la mise en pratique, le monde réel, les émotions, les peurs, la honte… Tout ça vient pervertir ces systèmes», remarque Simon Grenier-Poirier.

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