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Le rideau tombe sur les arts de la scène

spectacles annulés
«Je suis vraiment affectée par ce qui se passe et je n’ai pas du tout de fibre créatrice», confie la comédienne, slameuse et autrice Elkahna Talbi, alias Queen Ka, qui présentait récemment à La Chapelle la performance «Si je reste». Photo: Emmanuel Crombez/Collaboration spéciale

«The show must go on», disent les Anglais. L’expression ne tient plus la route en cette période de confinement. Alors que les spectacles et les tournages sont annulés ou reportés les uns après les autres, les artistes s’inquiètent des répercussions qu’aura le coronavirus sur leur capacité à gagner leur vie.

«Je suis en période de deuil», confie d’emblée l’autrice Rébecca Déraspe. La dramaturge, qui est en résidence au théâtre La Licorne, avait cinq projets en cours, dont un en France et un à Vancouver. Reportés ou carrément annulés? Pour le moment, elle ne le sait pas.

«Quand tu travailles des années pour présenter quelque chose à quelqu’un et que cette rencontre est annulée, c’est sûr que ça fait mal», dit celle qui a écrit la pièce Je suis William.

Cette douleur, Elkahna Talbi, alias Queen Ka, la connaît également bien.

«La base du spectacle vivant, c’est avec une salle et un public. Il y a des gens qui ont créé et qui ont écrit des spectacles qui ne verront pas le jour… En tout cas, pas comme ils devaient voir le jour», se désole la comédienne, slameuse et autrice. Ses dates de spectacle ont «sauté». Elle avoue se sentir «angoissée».

«La seule affaire qui me rassure, c’est qu’il y a beaucoup de choses qui sont reportées. Je me dis qu’elles vont peut-être avoir lieu… Mais quand? Parce qu’en attendant, je n’ai rien», confie l’autrice de Moi, figuier sous la neige.

Spectacles annulés

Depuis l’instauration des mesures d’urgence, ici comme ailleurs, la scène culturelle est paralysée, laissant des milliers de créateurs dans le doute.

En tant qu’agent d’artistes, Marc-André Globensky se sent comme un «messager de mauvaises nouvelles» depuis plus d’une semaine.

«C’est inquiétant pour les artistes, car ils n’ont plus de contrats, plus de travail, et donc plus de revenus, dit-il. C’est aussi inquiétant pour nous [les agents], car notre rémunération dépend des contrats des comédiens.»

Certaines ententes sont reportées, d’autres sont annulées, mais rien n’est clair pour personne, explique M. Globensky.

«Qui va rembourser tous ces contrats? Il y a des promesses qui sont faites, notamment que tous les contrats seront honorés – mais par qui? Quand? Comment? Cette incertitude rend tout le monde nerveux.»

De son côté, l’Union des artistes (UDA) est en «gestion de crise». Dans un courriel envoyé le 20 mars, l’agente aux communications Ariane Baillie-Gendron a décliné une demande d’entrevue, expliquant que l’UDA devait d’abord «s’occuper de [ses] 13 000 membres».

La fin abrupte des activités culturelles pourrait affecter lourdement les artistes, un groupe de travailleurs qui devait déjà composer avec la précarité. En 2016, dans un article publié dans La Presse, la présidente de l’UDA, Sophie Prégent, rapportait que la moyenne des revenus annuels des membres actifs était de 21 450$.

«En ce moment, la culture n’a jamais été aussi importante, même si on n’y a pas accès de façon vivante.» -Dany Boudreault, comédien, auteur et producteur

Le gouvernement fédéral a récemment présenté son plan d’intervention économique pour répondre à la crise sans précédent causée par le coronavirus.

Parmi les mesures annoncées, il y a l’allocation de soutien d’urgence, un programme doté d’un budget de 5 G$. Il est notamment destiné aux Canadiens qui perdent leur travail et qui ne sont pas admissibles à l’assurance-emploi.

Les détails ne sont pas encore connus, mais les prestations devraient être disponibles en avril.

Reste à voir comment cela s’organisera. Les acteurs du milieu culturel attendent de remplir les formulaires et d’obtenir la confirmation qu’ils sont admissibles.

Et après la crise?

Le retour à la normale sera «assez chaotique», prévoit Ines Talbi, comédienne et auteure-compositrice-interprète.

«On va devoir s’adapter pendant quelques semaines parce que les gens vont devoir évaluer ce qu’ils refont et ce qu’ils ne refont pas. Ça va être un gros casse-tête pour les agents et les producteurs», prédit celle qui a entre autres conçu et mis en scène La Renarde, sur les traces de Pauline Julien.

De son côté, Elkahna Talbi s’inquiète de l’avenir des salles de spectacle. Certaines devront-elles mettre la clé sous la porte?

«Après tous les revenus que les diffuseurs auront perdus, est-ce qu’ils seront encore capables de présenter des spectacles?» se questionne-t-elle.

Et même si elles survivent, le public sera-t-il au rendez-vous?

«Est-ce que les gens vont se mettre à avoir peur de participer à des événements d’art vivant où ils sont en groupe?» se demande le comédien, auteur et producteur Dany Boudreault.

L’avenir est incertain. Néanmoins, Rébecca Déraspe espère que la crise donnera un souffle nouveau à la scène culturelle.

«Quand on nous enlève quelque chose, c’est là qu’on réalise la chance qu’on avait de l’avoir. Je me dis que ça va nous donner plus envie de sortir et de consommer du théâtre.»

En réaction à la situation de confinement, elle planche en ce moment sur une œuvre théâtrale commandée par le metteur en scène français Rémy Barché. La pièce sera présentée en direct sur Skype au mois d’avril.

«On s’adapte et on essaie, dit-elle. On ne sait pas ce que ça va donner, mais je pense que ça va être fabuleux.»

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