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Rire du coronavirus malgré tout

Tout le monde s’accorde pour dire qu’en ces temps difficiles, le rire est salvateur et même indispensable. Peut-on déjà faire des blagues sur la pandémie de coronavirus?
Alexandre Barrette Photo: Chantal Lévesque/Archives Métro

Tout le monde s’accorde pour dire qu’en ces temps difficiles de coronavirus, le rire est salvateur et même indispensable. Mais peut-on déjà faire des blagues sur la pandémie de COVID-19?

On entend souvent deux mots en anglais dans les soirées d’humour. Dès qu’un humoriste écorche un sujet d’actualité sensible, certaines personnes grincent des dents, d’autres clament haut et fort : «Too soon». Trop tôt.

Alors qu’on est en plein cœur de la crise du coronavirus, dont les impacts sont majeurs et souvent dramatiques dans la vie des gens, une soirée d’humour sera présentée en direct demain sur la chaîne Z. Décrite comme «un grand défoulement humoristique», Roast COVID-19 rassemblera 10 talents comiques dans «une formule où absolument tout sera permis.»

Absolument tout, vraiment? L’animateur de ce bien-cuit viral, Alexandre Barrette, apporte une nuance: tout est dans la façon d’en rire. «Des fois, c’est too soon pour rire de quelque chose, concède-t-il. L’angle est très important.»

Une opinion partagée par le philosophe et membre de l’Observatoire de l’humour Jérôme Cotte. «Est-il trop tôt? Ça dépend comment c’est amené et ça dépend de l’intention derrière le rire.»

«Les gens ont besoin de rire, ils ont besoin d’un exutoire. Il faut rire de la situation malgré tout.» Alexandre Barrette, humoriste

À en juger par les textes des participants – dont font notamment partie Adib Alkhalidey, Marie-Lyne Joncas, Laurent Paquin, Christine Morency et Pierre-Yves Roy-Desmarais – qu’il a pu consulter, «tout le monde est de bon goût», assure Alexandre Barrette.

Même si leurs numéros seront présentés en direct, l’humoriste a pleinement confiance dans la bonne foi de ses collègues. «Je ne pense pas que ce sera choquant. Je crois que ce sera bien fait et rassembleur. Je ne pense pas qu’on devra se dire: “Tabarouette, il va là?”»

Contrairement à la formule traditionnelle des deux saisons de Roast Battle: Le grand duel qu’il a animées, le but de cette édition spéciale n’est pas de s’insulter à qui mieux mieux entre humoristes.

«Ce sera un exutoire, un rire qui fait du bien, précise-t-il. Comme c’est la même gang qui produit Roast Battle, on a repris le nom de l’émission, mais Roast COVID-19, c’est d’abord et avant tout un défoulement collectif.»

Dédramatiser sans banaliser

Justement, on a besoin de se défouler pour traverser la crise. «L’humour est toujours important quand on fait face à des moments difficiles, même sur le plan individuel», soutient Jérôme Cotte.

Ce n’est pas parce qu’il promet un spectacle rassembleur qu’Alexandre Barrette empêchera ses confrères et consœurs de poser un regard critique sur ce qu’on vit actuellement. «Oui, il y aura quelques gags pour écorcher certains gestes qui ont été posés dans la société. Oui, on va rire de certaines personnes», précise-t-il.

Voilà de quoi réjouir le philosophe, qui soutient que l’humour doit dédramatiser la situation sans la banaliser pour autant. «Si on nous fait rigoler simplement en attendant que les choses reviennent à la normale, c’est un peu moins intéressant que si on dédramatise tout en prenant la mesure de l’ampleur de ce qui se passe», fait-il valoir.

Ce qu’on vit étant inédit, les humoristes se trouvent avec un défi de taille devant eux, ajoute-t-il. «Il faut créer de nouvelles façons de rire pour répondre avec justesse à la crise et aux souffrances qui en découlent. C’est aux artistes de trouver des manières originales de faire face à cette situation.»

Déjà, on sait que les relations familiales, le célibat, la détresse financière et l’anxiété feront partie des sujets abordés par les invités de Roast COVID-19.

M. Cotte souhaiterait y entendre des blagues qui mettent en lumière nos contradictions sociales. «Si l’humour arrivait à jouer intelligemment avec les contradictions que la crise met en relief, ça pourrait être intéressant.»

Il illustre son propos d’un exemple : «Ceux qu’on nomme les “anges gardiens”, ces personnes essentielles à notre survie en ce moment, sont souvent des gens dont le travail est peu reconnu, voire un peu méprisé en temps normal. Tout d’un coup, ces personnes nous gardent en vie!»

Comment rire de cette contradiction? «Je ne sais pas, je ne suis malheureusement pas un humoriste!» dit-il en riant.

Rire pour la santé

Peu importe de quoi on rit ou de comment on en rit, l’important reste de rire, tout simplement. Il en va de notre équilibre mental, rien de moins. «L’humour est très bon pour la santé», assure la psychologue Martine Miglianico, fondatrice de la Clinique de psychologie positive à Montréal.

Il ne faut pas confondre psychologie positive avec pensée positive. La pratique de Mme Miglianico consiste à étudier l’être humain lorsqu’il va bien afin de mieux le soigner quand il va mal. «Cette science étudie le niveau optimal des individus, des organisations et de la société», résume-t-elle.

Le rire procure beaucoup d’effets positifs: il diminue le stress, favorise les relations sociales et permet de prendre du recul. «Le fait de vivre des émotions positives permet d’avoir davantage de ressources pour faire face aux difficultés», soutient la psychologue, citant les travaux de la chercheuse américaine Barbara Frederickson.

Ce n’est pas tout. L’humour permet également d’améliorer sa qualité de vie en réduisant les symptômes d’anxiété et de dépression. «C’est recommandé de pouvoir rire et d’avoir du fun au quotidien, même en temps de crise», ajoute-t-elle.

Alexandre Barrette constate quotidiennement que l’humour fait du bien, lui qui est à la barre de la quotidienne Midi Barrette à CKOI et qui a collaboré à plusieurs autres émissions dans les dernières années. «Je ne me suis jamais senti aussi valorisé de faire de la radio qu’en ce moment. Je n’ai jamais autant reçu de feedback et de confidences», dit-il, à la fois ému et étonné.

Lui-même trouve apaisement et réconfort dans la belle folie de ses collègues sur les réseaux sociaux. «J’ai vu des choses sur Internet qui m’ont fait rire fort… Estie que ça fait du bien d’évacuer un peu!»

Cela dit, l’humoriste ne considère pas pour autant son art comme étant un service essentiel, bien qu’il soit «clairement important».

L’humour est néanmoins indispensable par sa faculté de nous ramener, justement, à l’essentiel. «Au-delà de nos rôles sociaux, que nous jouons souvent avec beaucoup de sérieux et d’orgueil, l’humour permet de revenir à une reconnaissance mutuelle de notre humanité, de notre vulnérabilité, croit Jérôme Cotte. C’est vraiment une façon de connecter avec les autres dans les moments difficiles.»

Des paroles qui résonnent chez Alexandre Barrette: «L’humour est parfois un art malmené, mais quand il est bien fait, avec cœur, qu’il est peaufiné et rigoureux, c’est le plus bel art.»

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